Viagra Boys, Jazz Welfare, Year00001, 2021
On ne parle pas souvent de rock qui tache dans cette obsession parce que le genre peine trop souvent à se renouveler tout en le faisant avec un sérieux qui n’arrange rien. C’est justement là que surgissent les Suédois de Viagra Boys avec Welfare Jazz, un deuxième album sale à l’extérieur mais doux à l’intérieur, puissant et amusant tout en parvenant à renouer avec les expérimentations du post-punk. C’est déjà beaucoup.
Viagra Boys est la créature d’un Américain, Sebastian Murphy, exilé à Stockholm avec ses tatouages, où il a créé son groupe au nom testostéroné en 2015 notamment en débauchant chez les bons Les Big Byrd, formation de rock psychédélique un rien potache, dont le dernier album paru en 2018 s’appelait Iran Iraq Ikea. À cinq, six ou sept musiciens selon l’humeur, Viagra Boys a commencé par écumer les scènes d’Europe en y laissant une grosse flaque de sueur en souvenir, jouant un blues-rock saturé entièrement dédié à la voix rocailleuse de Murphy, enfant revendiqué de la tradition des growlers, ce chant guttural et grondant surgit de la gorge. La technique vient de loin, mais elle est entrée dans le langage musical populaire via le blues, chez Howlin’ Wolf notamment, avant de devenir une arme rock chez Screamin’ Jay Hawkins (I Put a Spell on You) ou Tom Waits dans la seconde moitié de sa carrière. Sebastian Murphy n’est ni un innovateur du genre ni un chanteur particulièrement remarquable, mais il donne du grain à la musique de ses Viagra Boys et une énergie scénique qui est avant tout ce que l’on vient chercher dans un concert des Suédois.
Mais Jazz Welfare est intéressant pour autre chose que ses aspects les plus rock. Certes, c’est un bon exercice de style dans le créneau, ça sent la couille et les jeans pas lavés, mais le deuxième album des Viagra Boys est surtout attachant pour ses à-côtés, sa recherche sonore plus avancée que la normale, ses cris de saxophone et ses rythmiques disco mutantes. Dès le démarrage avec Ain’t Nice, le groupe peuple sa musique de détails sonores qui font toute la sève de ce morceau qui serait sinon une évidence blues-rock de plus. À la place, on a un saxophone qui râle et une boucle électronique à un doigt qui se moque de la grosse voix de Sebastian Murphy. Sans hésiter, Viagra Boys parvient ainsi à conserver l’énergie du rock garage tout en regardant clairement vers le post-punk de la fin des années 1980, façon Wire, Gang of Four ou Killing Joke.
Ces déviations sonores et rythmiques ne sont jamais la motrice des chansons, mais c’est elles qui font que l’on s’y accroche.