Envoyé spécial en Ukraine
À 150 kilomètres des combats de Mykolaïv, dernière grande ville du Sud de l’Ukraine avant Odessa, la région de Bilhorod-Dnistrovskyï est une vaste plaine fertile. Entre les champs qui s’étalent à perte de vue et à l’orée de petits villages qui semblent ancrés dans l’ère postsoviétique, les militaires ukrainiens contrôlent scrupuleusement l’accès des voitures qui les traversent. Les panneaux de signalisation ont été retirés pour perturber l’orientation d’une hypothétique incursion russe. La tension est palpable, et les agriculteurs de la région sont devenus un des remparts à la guerre qui a débuté le 24 février. Un programme intitulé « Patriotisme économique » a été annoncé dès le 22 février par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky : « Les entreprises doivent protéger notre économie, nos finances et créer des emplois. Nous devons renforcer le pays ensemble, chacun sur son propre front. » Surnommée « le grenier de l’Europe », l’Ukraine exporte habituellement autour de 30 millions de tonnes de blé par an. 25 % de cette production est destinée au marché national, les 75 % restants sont vendus principalement à la Chine et au Moyen-Orient pour l’alimentation des animaux.
Le long d’un canal de la région d’Odessa qui, l’été, irrigue les cultures, un groupe d’hommes s’est réuni sur un chemin de terre. Autour d’eux, le blond des blés et le ciel bleu rappellent les couleurs du drapeau ukrainien. Ils observent un tracteur qui laboure une parcelle destinée à cultiver des tournesols, soulevant une colonne de poussière balayée par un vent glacial venue de l’est. Alexi, Roman et son frère, tous les trois agriculteurs, évoquent les bombardements qui avancent et dont la fréquence est de plus en plus rapprochée. Malgré les combats qui se déroulent à Mykolaïv, ils souhaitent poursuivre le travail. « Les plantes poussent, on ne peut aller à l’encontre de la nature. Alors il faut continuer malgré tout », explique Alexi, 43 ans, venu rendre visite à ses amis pour échanger sur la situation.
Ancien fonctionnaire d’État né à Kyiv, Alexi a été pendant dix ans en charge du contrôle sanitaire au ministère de l’Agriculture. Après avoir passé quelques années à Kherson, ville située à 90 kilomètres de Mykolaïv et aujourd’hui sous occupation russe, le citadin a voulu posséder ses propres terres. Avec six employés et trois tracteurs, il est désormais à la tête d’une ferme de 35 hectares qui produit 75 tonnes de blé par hectare, soit 2 625 tonnes par an.