Au premier rendez-vous, Gülistan semblait d’abord réservée, timide. Puis à l’évocation du sort réservée aux femmes dans cette Turquie qui se replie sur ses conservatismes (lire l’épisode 2, « Une véritable ingénierie conservatrice se met en place »), elle a hoché la tête, s’est mise à parler de façon plus déliée. Gülistan Zeren étudie la sociologie à l’université francophone de Galatasaray, à Istanbul, en quatrième année. Elle y compare les systèmes de santé turc et français. Et depuis quelques années, observe le recul des droits des femmes, dans leur intimité comme dans l’espace public.
En apparence, la Turquie reste cette vitrine où laïques et musulmanes cohabitent tranquillement. Dans les quartiers les moins conservateurs des grandes villes, voiles et cheveux libres se partagent la rue, se mêlent dans les groupes. L’accès au crédit, le redressement économique du pays et la multiplication des centres commerciaux, ont rendu visible l’émergence d’une bourgeoisie musulmane, qui achète, s’habille de façon moins traditionnelle. La mondialisation a modernisé le conservatisme
, se moque Izzeddin Çalislar. Mais derrière l’apparence, les droits reculent.
Dans un pays où l’essentiel de la presse est tenue – et le reste des médias pas toujours très sérieux, à quelques journaux indépendants près –, les rumeurs font la loi, et compliquent les combats. Sur la question de l’avortement, même les militants ne semblent pas toujours au courant. Parmi ceux que j’ai rencontrés en commençant cette obsession en novembre dernier, beaucoup pensaient par exemple que les délais légaux avaient été réduits, et que la décision revenait désormais aux médecins, plus aux femmes. Cela n’est pas le cas. Les reculs sont nombreux, mais plus insidieux : « L’avortement reste légal jusqu’à dix semaines, dit Gülistan, et il dépend de la volonté des femmes, pas des médecins. Mais en pratique, les hôpitaux n’appliquent pas la loi. Une association féministe l’a montré dans une étude publiée en février 2015. » L’association avait demandé à 37 hôpitaux publics s’ils pratiquaient l’avortement. À Istanbul, seuls trois hôpitaux publics le faisaient si les femmes le demandaient, douze ne le faisaient en aucun cas. « Il y a eu plusieurs discours négatifs sur ce sujet par le gouvernement et des élus AKP, poursuit Gülistan. Cela crée une pression à laquelle obéissent les hôpitaux. »
Le gouvernement donne des orientations, ses proches mettent en œuvre et il y a toujours un mufti pour dénicher une jurisprudence religieuse légitimant les reculs.
Le système de santé a totalement changé en Turquie depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, en 2002.