Ce mardi débute à Istanbul les procès de près de 150 universitaires turcs, accusés de « propagande terroriste », pour avoir signé une pétition appelant à la paix. Ces derniers mois, leur pays semble sorti des radars médiatiques européens. Comme s’il existait une lassitude face à la répétition, la répression interminable, cette purge sans fin. Dans ce silence relatif, la dérive autocratique se poursuit pourtant, le pays s’enfonce. Et ces procès de chercheurs illustrent bien la paranoïa, l’arbitraire, dans lesquels se débattent désormais les démocrates turcs.
Au total, 147 universitaires – pour l’instant – sont renvoyés devant la justice. Leurs procès vont s’égrener jusqu’en avril au moins, devant sept tribunaux différents. Les chercheurs sont jugés les uns après les autres, afin de bien les isoler, alors qu’on leur reproche un seul et même crime : avoir signé une pétition commune appelant au retour de la paix dans la région du Kurdistan turc. Ils l’avaient rendue publique le 11 janvier 2016. Au cœur d’un hiver terrible pour les Kurdes.
Depuis près d’un siècle, les violences commises par l’État contre cette minorité, puis sa rébellion, sa guérilla d’indépendance et la répression qui leur a répondu ont fait des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés. Ce n’est qu’en mars 2013 que le climat s’est un peu apaisé, avec l’ouverture d’un processus de paix soutenu depuis sa prison par le leader kurde Abdullah Öcalan. Des universitaires y ont participé, nourrissant les discussions de leurs recherches sur la réconciliation en Irlande et en Amérique du Sud notamment. Et puis tout cela a volé en éclats à l’été 2015.
Le processus patinait depuis quelques mois lorsque sont arrivées les législatives du 7 juin 2015, scrutin-clé pour comprendre l’état de la Turquie aujourd’hui. Le HDP, parti monté depuis peu pour rassembler des mouvements politiques prokurdes, une partie de la gauche et des écologistes turcs, crée la sensation en dépassant les 10 % des suffrages (12,96 %), envoyant 80 députés à la Grande Assemblée nationale de Turquie, et provoquant le premier recul depuis 2002 de l’AKP, le parti du président Recep Tayyip Erdogan. Cela bouscule alors les équilibres, et pousse le chef de l’État à polariser un peu plus son pays.