À Kherson (Ukraine)
Derrière le zinc en bois de son café, Angela a poliment attendu que l’interview se termine pour se livrer. On était rentrés là au hasard, un petit café sombre et vide aux airs de taverne, planté au bord d’un trottoir de la banlieue résidentielle de Kherson. Un endroit approprié pour écouter l’histoire d’une habitante accusée il y a quelques mois d’avoir tramé avec l’occupant russe
Puis elle s’est approchée, addition en main, et a commencé à raconter. Un peu avec précipitation et, très vite, avec des larmes sur le visage, elle évoque sa vie à Kherson, le départ de ses enfants, son obligation de rester pour prendre soin de sa mère de 82 ans. Ces explosions, permanentes, proches et lointaines, jour et surtout nuit, qui la figent et la terrorisent. Ces banals problèmes de vie dans une zone de guerre. Elle cherche à comprendre comment mettre la main sur des certificats, sorte de chèques restaurant humanitaires permettant de récupérer de la nourriture aux supermarchés du coin.
Il faut trouver les points de distribution, s’y rendre tôt le matin et attendre, sous ce ciel toujours menaçant. « Je ne veux pas aller dans le centre-ville, j’ai trop peur, et faire la queue dehors c’est tellement dangereux », gémit Angela. Du menton, elle désigne deux bancs joints bout à bout dans le coin le plus sombre du café : c’est là qu’elle a dormi toute la semaine dernière, craignant de rentrer chez elle alors que les frappes russes se faisaient particulièrement intenses. « Mon frère est parti à l’étranger et il vient me dire que c’est calme à Kherson, vous vous rendez compte ? », lâche-t-elle en étouffant un sanglot.
Rien n’est calme à Kherson, cette ville du Sud de l’Ukraine logée à l’embouchure du Dniepr, localité portuaire de grosses avenues quadrillées et d’immeubles fatigués, province tranquille qui a longtemps mariné dans son jus post-soviétique. Occupée par l’armée russe aux premières heures de l’invasion, libérée le 11 novembre 2022 (lire l’épisode 17,