À Kyiv (Ukraine)
Décembre 2021. Le Nouvel An n’est plus très loin lorsqu’Anastasia « Nastya » Stanko, reporter de guerre ukrainienne chevronnée, rentre dans le Zigzag, un bar-restaurant branché de Kyiv. Elle accompagne deux journalistes tout juste arrivés des Pays-Bas et les présente ce soir-là à Oleksiy Arestovych, un blogueur populaire devenu en 2020 conseiller free-lance auprès de la présidence ukrainienne. Voilà plusieurs mois que la Russie amasse des troupes à la frontière du pays, et plusieurs semaines que des volées de plus en plus intenses d’avertissements, d’ultimatums et d’invectives semblent survoler l’Ukraine depuis Moscou, direction Washington.
Sous les lumières tamisées du Zigzag, tranquillement installé sur une chaise en velours bordeaux, Oleksiy Arestovych sort de sa poche un stylo et commence, sur une serviette en papier, à dessiner le grotesque plan d’invasion russe. Une flèche pointe sur Kyiv, une autre fond sur Kherson, dans le sud du pays, avant de virer plein ouest, vers Odessa, une autre encore part dans l’autre sens prendre Marioupol à revers. Les Russes ne chercheront pas à s’emparer de Kharkiv, confie le conseiller présidentiel aux deux journalistes, ils se contenteront de contourner la ville pour charger vers l’ouest. Flanquée de ses deux Néerlandais fascinés, Anastasia Stanko écoute, main sur le front pour tenter de dissimuler son embarras. Elle sort de l’interview suffisamment mortifiée pour présenter ses excuses aux deux journalistes : Oleksiy Arestovych a certes déjà une réputation un peu trouble, mais ses élucubrations ne sont en principe pas celles de n’importe qui
Anastasia Stanko n’a rien d’une naïve : au contraire de la majorité de ses compatriotes, la jeune femme, alors âgée de 35 ans, cheveux noirs coupés court et sourire franc, est déjà familière du fracas de l’artillerie et du sifflement des obus. Elle s’était précipitée en Crimée lors de l’annexion de la péninsule par la Russie au printemps 2014 (lire l’épisode 7, « La naissance d’une conscience ukrainienne »), avait ensuite traîné sa caméra