Un spectateur houspille : « Et le balai, il est où ? » Le commissaire Grandjean, assis côté passager, se penche vers la foule : « Désolés, on l’a perdu ! » La voiture-balai du Tour de France a des coureurs bouillis de fatigue devant son pare-chocs, mais plus son balai de paille. Volé par des farceurs ou des fétichistes dans les années 1990, remplacé, de nouveau dérobé, donc abandonné. Aujourd’hui, le fourgon parade avec un autocollant rose pour un voyagiste en ligne. Le mécène s’appelle lastminute.com. Collé sur les vitres. Ce qui tombe à pic pour un véhicule qui assiste, encourage, sanctionne des coureurs qui risquent l’élimination à quelques secondes près (lire l’épisode 1, « Le Tour à l’envers »). Lastminute a prévu d’offrir un séjour au soleil à celui qui finira dernier au classement
Le « balai » racle le sol du Sancy et du Cézallier, sur des routes sans ferme ni maison. Les vaches à viande ont dévoré les broussailles et il ne reste plus qu’un gazon de golf à perte de regard, parfois des prairies de fauche ravinées, où les tracteurs doivent rouler à la perpendiculaire. Des coins à gentianes : la terre est rugueuse comme la liqueur. Clermont-Ferrand se situe à une heure trente de rallye. L’arrivée du jour, tracée à Issoire, à une heure de procession cycliste. Nul n’est pressé de quitter ces étendues d’herbe jaune. Dans la vallée, le soleil assomme à 46°C. La température ressentie explose à 52°C. Le peloton frôle l’évaporation.
Le commissaire Éric Grandjean, mandaté par la Fédération française de cyclisme, transpire dans sa tête. L’étape est partie en guépard. Le double vainqueur du Tour, Tadej Pogacar, a eu cette folie d’attaquer à presque 150 kilomètres de l’arrivée, pour tenter, en vain, de surprendre le maillot jaune Jonas Vingegaard, et ces sprints de fauve dans la montagne ont éclaté le peloton. Stéphane Bezault, le chauffeur de la voiture-balai, prend le pari contraire : même les plus fourbus vont s’en tirer. Pour aujourd’hui. Pour une fois. Stéphane connaît tous les coureurs de dos et tous les cols de France en première sur le levier de vitesse. Il est comme eux. Il a l’instinct des moments où lever le pied, des coups d’accélérateur à donner, des délais à ne pas dépasser, pour avoir le droit de repartir sur l’étape du lendemain. Il sent le temps.
« Déjà neuf minutes et on n’en est qu’au début. Ils n’iront pas au bout », s’inquiète Éric Grandjean. Stéphane Bezault conteste, très calme, pas contrariant :