Dans des temps très anciens, un cycliste fraudeur a eu la bonne idée de terminer le Tour de France en train. Il s’appelait Henri Gauban, il venait de la région de Toulouse, et il s’était dit que la loco irait plus vite que son vélo. Il avait raison. Sixième étape du Tour 1907 : « Riton » s’écarte du parcours quelques kilomètres après le départ à Grenoble, s’installe dans un wagon et, tout confort, rejoint Nice, où est tracée la ligne d’arrivée. Il est flanqué de trois copains. Les maillots de laine sont peu discrets. Un chef de gare repère la petite bande. Ils sont dénoncés, disqualifiés. L’organisation avait l’habitude : la triche ferroviaire était la plaie du Tour. « Riton » continuera de rouler sur son vélo encore quelques mois comme professionnel, puis par passion, ennui, revanche, amour, tandis qu’il tient un garage à Muret, en Haute-Garonne. À plus de 60 ans, ce fou furieux s’amusera à attendre que le Tour passe près de chez lui pour s’incruster dans le peloton, poursuivi par les gendarmes. C’est pour Henri Gauban et quelques autres que fut inventée la voiture-balai (lire l’épisode 1, « Le Tour à l’envers »).
Le camion-hygiène est en chemin pour Limoges, ce samedi 8 juillet, pour la huitième étape de la Grande Boucle 2023, après la victoire, la veille, du Belge Jasper Philipsen. Cette éponge roulante est toujours pendue en queue de course, derrière le dernier concurrent, pour effacer la sueur, les larmes et autres taches. Le fourgon embarque les fatigués et les tricheurs. Depuis près d’une semaine que l’épreuve a débuté, aucun coureur n’a osé monter à bord. Pourtant, les Pyrénées ont traversé le Tour. Deux étapes de frousse pour les mauvais grimpeurs. Le Bourreau, Jonas Vingegaard, maillot jaune en titre, décide du sort de ses victimes : plus il roule vite à l’avant, plus il faut carburer à l’arrière. Sinon : élimination. Le sprinter britannique Mark Cavendish, le Filou, deuxième de l’étape de Bordeaux ce vendredi, a étonnamment bien résisté à l’exercice des cols, dans les jours précédents. Ce jeudi, il a rallié l’arrivée au sommet de Cauterets avec plus d’une demi-heure de retard sur Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, ce qui représente un triomphe pour lui. Le Filou a fêté sa non-élimination en tapant dans la main des spectateurs ébahis.
Que je m’arrête pisser, que je m’arrête pour changer une roue, que je tombe, j’ai un commissaire de course qui me colle au cul et même un putain de camion qui vend des glaces !
Mark Cavendish, 38 ans, est un de ces bons et mauvais génies de l’histoire du Tour de France, héros de la future saison 2 de la série Netflix Au cœur du peloton