Ce soir-là, Christophe Renaudin a pris la parole en dernier. La rencontre avait débuté deux heures plus tôt, le micro devenait capricieux. Il a dû forcer la voix pour se faire entendre, quelques notes sous les yeux comme une béquille « pour ne pas oublier l’essentiel ». Autour de 80 participants avaient pris place dans l’amphithéâtre de l’Institut régional d’administration de Nantes pour la réunion publique de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) en Loire-Atlantique, le 11 février 2020. Sur l’estrade, son chef de file Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, et deux de ses membres, Jean-Pierre Rosenczveig et Antoine Garapon, d’anciens juges des enfants. À leurs côtés, une représentante de la fédération d’associations France Victimes, comme à chaque escale de la Ciase. Christophe Renaudin n’a eu qu’une poignée de minutes pour raconter, face au parterre d’inconnus, les violences sexuelles subies enfant au sein du mouvement des Focolari, (lire l’épisode 1, « Pédocriminalité dans un mouvement catholique : nos révélations ») et l’impunité de Jean-Michel M., son agresseur (lire l’épisode 2, « Trois responsables des Focolari limogés »). « Ça m’a beaucoup coûté, mais j’y tenais, commente-t-il. J’y voyais l’opportunité de dénoncer tout cela publiquement, de faire pression sur le mouvement et de trouver d’autres victimes. »
La Ciase a vu le jour début 2019 à la demande de la Conférence des évêques de France (CEF) et de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). Leur lettre de mission charge Jean-Marc Sauvé de « faire la lumière » sur les violences sexuelles commises dans l’Église catholique, sur des mineurs ou des adultes vulnérables, depuis plus d’un demi-siècle. Qu’elles émanent de prêtres, de religieux et de religieuses, mais aussi de laïcs consacrés comme chez les Focolari, de séminaristes, de diacres, dans les paroisses, congrégations, aumôneries, écoles, etc. Il lui revient d’étudier « la manière dont ont été traitées ces affaires, en tenant compte du contexte des époques concernées », et d’évaluer les mesures de prévention prises à compter des années 2000. Pour cela, le haut-fonctionnaire s’est entouré de 21 personnalités aux CV hétéroclites : juristes, médecins, historiens, sociologues, théologiens, spécialistes de la protection de l’enfance, aux « opinions philosophiques et religieuses […] diverses ».
En juin 2019, la Ciase a lancé un appel à témoignages qui s’est achevé le 31 octobre dernier.