C’est une histoire de silence que ressassent, ces dernières semaines, de nombreux membres des Focolari en France et d’anciens compagnons de route. Tous ont fait au moins un bout de chemin avec ce mouvement catholique à partir des années 1970. Ils y ont côtoyé de près les protagonistes d’un scandale de pédocriminalité dont l’ampleur vient seulement d’éclater au grand jour avec la publication des informations des Jours : Jean-Michel M., un laïc consacré accusé d’agressions sexuelles par une trentaine de victimes (lire l’épisode 1, « Pédocriminalité dans un mouvement catholique : nos révélations »), mais aussi les dirigeants récemment démis de leurs fonctions (lire l’épisode 2, « Pédocriminalité : trois responsables des Focolari limogés »). Parmi ces derniers, certains étaient au courant d’accusations depuis la fin des années 1970. Pourtant, de nombreux membres jurent n’en avoir rien su. Les victimes, pour beaucoup, se sont crues seules et se sont tues. Chacun sonde aujourd’hui sa mémoire pour tenter de comprendre comment l’agresseur a pu se fondre en leur sein sans y être inquiété jusqu’en 2016. Un examen de conscience inédit pour cette association de fidèles soudée comme une famille, tantôt décrite comme ouverte au dialogue, tantôt comme hiérarchisée à l’excès, cultivant l’obéissance au risque de l’abus de pouvoir.
« Je n’en ai parlé qu’à ma compagne, au début des années 2000 », témoigne Sylvain. Ce quinquagénaire affirme auprès des Jours avoir subi deux agressions de la part de Jean-Michel M. quand il était collégien, à des dates qu’il situe entre 1976 et 1978. Son récit fait écho en de nombreux points à celui de Christophe Renaudin, victime en 1981 et 1982. « J’ai rencontré M. lors d’un événement, se souvient-il. Il me décrivait comme un garçon extraordinaire, m’expliquait que, grâce à l’affection qu’il me portait ainsi qu’à un autre garçon, il était sorti d’une grave dépression. Je trouvais étrange qu’il s’intéresse à moi, mais je n’avais pas décodé cet exercice de séduction. » L’homme l’invite en stage à la maison d’édition du mouvement et à dormir à Châtillon, dans les Hauts-de-Seine, où il vit en communauté. « Il s’est glissé dans mon lit un matin et m’a étreint. J’ai réussi à éviter qu’il aille plus loin », relate Sylvain. La seconde agression survient d’après lui en marge d’une rencontre, près d’Angers.