D’habitude, Léa Diesel prend le car scolaire pour se rendre au collège tous les matins. Elle est l’une des dernières à monter, elle n’habite qu’à 3 kilomètres de l’établissement. Mais depuis une semaine, le car ne peut plus rouler faute de carburant, en pleine grève des salariés des raffineries Total. C’est donc sa mère, Marion, qui la dépose en faisant un petit détour avant d’avaler les 20 kilomètres qui la séparent de son travail, puis la mère d’une amie qui la ramène le soir. Ça marche comme ça, mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps. Alors Léa a eu une idée : pourquoi n’irait-elle pas au collège à vélo ? Elle pourrait passer par les chemins agricoles qu’elle connaît par cœur. Le seul problème, c’est qu’elle serait obligée de rejoindre la départementale pour les 500 derniers mètres et que ça roule vite à toute heure
Cette situation fictive, c’est celle de beaucoup d’habitants du périurbain lointain et du rural en France, où beaucoup de déplacements sont des sauts de puce de quelques kilomètres. C’est ce que nous rappelions dans le premier épisode (lire l’épisode 1, « Accros à l’auto : debout sur les freins ! ») de cette enquête : plus de 40 % des déplacements en zone rurale font moins de 5 kilomètres. Ajoutons-y un autre chiffre : plus de neuf habitants sur dix vivent à moins de 10 kilomètres d’une gare. Même en enlevant les grandes villes, ça laisse de la marge. Emmener les enfants à l’école ou chez le médecin, aller voir des amis ou la famille, faire une course ou une démarche administrative, c’est la « mobilité domestique », commente Yoann Demoli, sociologue et spécialiste de l’automobile, et c’est une mobilité genrée. « Les deux tiers des trajets domestiques sont assurés par des femmes, explique-t-il. C’est le seul type de trajet qui est plus réalisé par les femmes que par les hommes et c’est un impensé des politiques publiques. »
Un double impensé, car la question de genre se mêle à la question du coût environnemental de ces multiples petits déplacements qui se font en voiture car rien ne permet de les envisager autrement dans une géographie intégralement livrée à l’automobile, électrique ou pas.