Leila est « très playlist ». Sur Spotify, qu’elle utilise depuis 2015, gratuitement puis en tant qu’abonnée, elle a une méthodologie d’auditrice bien précise : « J’ai deux types de playlists personnelles : une qui contient ce que j’écoute en ce moment, que je change tous les deux ou trois mois. Puis j’ai des playlists par style, une quinzaine, que j’alimente à un rythme irrégulier. J’utilise les deux, mais surtout la playlist du moment. Mes playlists par style, je les réécoute assez peu et surtout en soirée avec des gens, parce que c’est plus simple de les lancer sans m’en occuper. » Leila fait partie d’un groupe d’auditeurs et auditrices croisés sur Twitter, à qui j’ai demandé de me décrire leurs habitudes, en particulier la façon dont ils et elles se servent des recommandations de Spotify, Deezer, Apple Music et compagnie. Et ce qu’elle m’a décrit est typique des stratégies de collection musicale que la recherche commence à cerner aujourd’hui.
Dans la pensée commune, les discussions qui surgissent avec la famille, les collègues ou sur les réseaux sociaux dès que l’on parle de musique en ligne, l’auditeur est la plupart du temps représenté comme un être mou qui se laisse porter par les playlists éditoriales de tubes proposées par les plateformes, ou enfermer dans une chambre d’écho par un système algorithmique qui préfèrerait lui faire écouter des chansons sans risque aucun. Mais on l’a vu dans cette mini-série, le concept même de bulle de filtre est remis en cause aujourd’hui (lire l’épisode 8, « Les algorithmes éclatent les bulles de filtre ») et les algorithmes étendent plutôt le paysage des écoutes de ceux et celles qui utilisent les plateformes de streaming sur un temps long. Quant aux auditeurs passifs, ils le sont en réalité bien moins qu’on ne l’a longtemps pensé.
Il n’y a quasiment personne qui a des pratiques totalement tournées vers les playlists éditoriales ou complètement tournées vers les recommandations algorithmiques.
Dans un article publié en 2021, une partie de l’équipe qui mène aujourd’hui « Records », la vaste étude interdisciplinaire menée en ce moment sur les usages de la musique en streaming, montrait ainsi qu’« il n’y a quasiment personne qui a des pratiques totalement tournées vers les playlists éditoriales ou complètement tournées vers les recommandations algorithmiques », détaille Samuel Coavoux, qui est sociologue au Centre Max-Weber de Lyon et membre de Records. Au contraire, « la plupart des gens sont dans un mode où l’usage premier, c’est la playlist de favoris ».