Le streaming musical a déjà presque tout changé dans le monde de la musique. Il a obligé les maisons de disques à plus de transparence envers leurs artistes, et parfois à rouvrir des contrats archaïques. Il a, pour beaucoup d’artistes, fait du disque, CD ou vinyle, un objet de collection secondaire, a réinventé MTV en version collaborative sous la forme de YouTube (lire l’épisode 1, « YouTube et les maîtres chanteurs »), et surtout imposé un nouveau format à l’écoute des auditeurs : la playlist. Sous cette surface, l’écoute en ligne sans téléchargement est en train de transformer plus en profondeur encore les rapports établis entre ceux qui fabriquent la musique, en particulier les artistes et les maisons de disques. C’est un rééquilibrage des pouvoirs qui est en marche, au profit de certains artistes débrouillards.
En 2012, Gabriel Legeleux, alias Superpoze, a publié le EP From The Cold sur sa page Bandcamp. Six titres d’electro ronde et mélodique, emmenés par le petit tube The Iceland Sound. Tout est fait maison : les morceaux ont été composés, enregistrés et mixés dans sa chambre à Caen, la pochette dessinée par un ami des Beaux-Arts. « J’avais un fichier, un visuel, j’ai tout mis en ligne en cinq minutes puis créé un compte PayPal et commencé à envoyer des mails à des clubs et à des festivals, m’a-t-il raconté il y a peu à Paris. Quelque temps après, j’ai commencé à être programmé. » Ce petit succès aidant, quelques maisons de disques ont approché Superpoze, qui n’a pas donné suite. Le jeune homme, 24 ans aujourd’hui, savait déjà qu’il n’avait pas besoin de ça. « Je n’ai jamais envisagé de m’attacher à un label, personne autour de moi n’a envie de ça. »
Dans le vieux monde de la musique, disons celui d’avant le streaming (puisque le téléchargement n’a fait que déplacer les pratiques du CD sur internet), il fallait de l’argent pour rendre sa musique disponible à l’écoute – et éventuellement à l’achat. Il fallait payer un studio d’enregistrement, fabriquer les disques, les distribuer par camions et en faire la promotion. On était dans le dur, dans l’industriel exigeant des forces humaines. C’est ce qu’offrent traditionnellement les maisons de disques : en signant un contrat avec un artiste, elles lui prêtent l’argent nécessaire au travail d’écriture (une avance) et financent le reste en échange de 80 % à 90 % des revenus à venir.