Vincent Bolloré a plusieurs façons de tuer. Il y a la massive, la rapide, l’expéditive. C’est, en 2015, son éradication de la quasi-totalité de l’état-major de Canal+ qui signe sa prise de pouvoir. C’est, en 2016, l’élimination brutale de la rédaction d’i-Télé. C’est, en 2017, le plan social dans les centres d’appels, bam, la moitié des salariés à la porte. Et puis il y a l’autre façon de tuer : la lente, le poison qui s’insinue petit à petit pour détruire de l’intérieur, l’étouffement, peu à peu, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus respirer et qu’il ne reste plus qu’un corps flasque, à l’abandon. Un corps de latex vidé de sa substance, celui des Guignols. 2018 verra-t-elle la fin des marionnettes, symbole de ce vieux Canal+ que tente de zigouiller Vincent Bolloré, l’année même de leurs trente ans ? Selon nos informations, cette question était au cœur d’un comité d’entreprise (CE) qui s’est tenu jeudi entre direction et élus du personnel : l’agonie des Guignols est bien entamée.
Là, il n’est pas impossible que vous vous grattiez la tête « Les Guignols ? Ça existe encore ? » Oh, si peu. Voilà un extrait de ce qu’on peut voir aujourd’hui sur Canal+ : alors c’est Johnny qui raconte son enfance : « Je disais pas “ah que”, je disais “ahreu”. » Voilà, on vous jure que ce sketch a été diffusé. « Mais ça passe quand ? », vous demandez-vous. Alors ça, c’est une bonne question. Réponse : 20 h 35. Mais à la rentrée, c’était à 19 h 50 au beau milieu et comme un cheveu sur la soupe d’Yves Calvi, L’info du vrai (c’est le nouveau Grand Journal en forme de C dans l’air, vraiment vous ne faites aucun effort…). Et l’émission est passée de sept minutes à trois, puis de nouveau à cinq. Notez que cette ligne de programmation de n’importe quoi était bien en accord avec les deux saisons précédentes. En 2015, faute d’auteurs (virés par Bolloré en plein été) et en raison d’une nouvelle ligne éditoriale Bollo-compatible, Les Guignols n’ont redémarré que le 14 décembre, diffusés à 20 h 50 au lieu de leur horaire historique d’avant les JT de 20 heures. Et en 2016, comme un symbole de la grille mi-cryptée mi-pas claire, les voilà à 19 h 35, dans Le Grand Journal, marquant le passage de l’émission du payant au gratuit : d’abord pour les seuls abonnés de Canal+, puis accessibles à tous, enfin aux rares qui ont compris l’étonnante stratégie de la direction des programmes.
C’est ce grand n’importe quoi qui a poussé l’équipe des Guignols à prendre langue avec les élus du personnel, dénonçant « une gestion inefficace qui nuit à la qualité de l’émission et ressemble à une “placardisation” avant la coupure finale ». Un premier comité d’entreprise, le mois dernier, a abordé la question puis un second, ce jeudi donc, où étaient attendues des réponses de la direction.