Dean Blunt, Black Metal 2 (Rough Trade Records, 2021)
On pourra écrire tout ce qu’on veut sur les stratégies de lancement d’albums qui sont nées avec les internets avant d’être transformées par le téléchargement puis à nouveau par le streaming et les réseaux sociaux. On peut toujours faire de belles phrases sur les singles savamment étalés pendant des semaines avant que l’album ne tombe bien sagement à minuit dans la nuit de jeudi à vendredi. Raconter comment telle artiste a construit sa communauté sur TikTok ou sur Instagram en lançant une chorégraphie (lire l’épisode 58, « “Anissa” et “Vamos a la playa” atomisent l’été ») reprise par les internautes. Heureusement, il y a Dean Blunt, qui vient de débarquer avec un disque pas du tout annoncé, Black Metal 2, qui est la demi-suite d’un album remarqué de 2014 (Black Metal, donc) autant que la fermeture (provisoire) d’une branche de sa musique qui n’arrête pas de buissonner de partout depuis dix ans.
Britannique, de son vrai nom Roy Nnawuchi, Dean Blunt a grandi dans le quartier de Hackney à Londres et il est, au choix, un incroyable branleur qui se situe bien au-delà des stratégies marketing ou un habile faiseur de buzz qui a appris qu’il fallait imposer son récit pour exister dans la musique d’aujourd’hui. Le sien est celui d’un musicien sorti d’un duo insaisissable, Hype Williams, qu’il était en même temps une histoire d’amour tout aussi tordue vécue avec la musicienne anglo-russe Inga Copeland. Hype Williams était une rêverie malaisante qui jouait avec des souvenirs d’enfance pour les défoncer sur scène à coups de tornades électroniques, de basses à la limite du soutenable et de beaucoup, beaucoup de fumée. C’était une expérience troublante et éreintante que le duo n’a jamais pu enfermer dans l’espace confiné d’un album, et la carrière solo de Dean Blunt s’est largement construite sur cette frustration depuis.
S’il aime toujours la fumée et les sons qui fracassent le crâne quand il se produit sur scène, lui écrit et enregistre aussi de vrais morceaux pour la maison, qu’il a disséminés depuis 2011 par des moyens pas toujours faciles à suivre. Parfois, c’était sous la forme de mixtapes frénétiques sur Soundcloud, parfois sous la forme d’une édition vinyle furtive, ailleurs en format mp3 diffusé uniquement via un site pirate russe, histoire de boucler la boucle du piratage de sa propre musique.