Cleo Sol, Heaven (Forever Living Originals, 2023)
Ç’a fini par devenir un running gag sur les réseaux sociaux : en annonçant mi-août son nouvel album pour « la fin de la semaine » sans préciser laquelle, la Britannique Cleo Sol a créé une énorme attente pour pas cher. Car Heaven, troisième album en trois ans finalement paru le 15 septembre, vient compléter et peut-être refermer une trilogie pop-soul captivante qui a fait de Cleopatra Nikolic, 33 ans, une voix marquante d’aujourd’hui isolée dans sa bulle protectrice.
Vous n’avez jamais entendu parler d’elle ? Vous ne le savez peut-être simplement pas. Car Cleo Sol est l’un des côtés d’un triangle qui n’a publié que de la bonne musique depuis une dizaine d’années et que l’on a déjà évoqué à plusieurs reprises dans cette obsession. À côté d’elle, il y a Dean Josiah Cover, alias Inflo, producteur de toute la musique de Cleo Sol (et son compagnon à la ville), moteur du groupe sans image Sault (lire l’épisode 69 de la saison 1, « Sault et The Masked Marauders, les bails masqués »), des meilleurs morceaux de l’album 30 d’Adele (lire l’épisode 110 de la saison 1, « Adele et Marvin Gaye rongent leurs noces ») et surtout d’une grande partie des trois merveilleux albums de la rappeuse Little Simz (lire l’épisode 157 de la saison 1, « Little Simz et Lauryn Hill, seules two »), qui referme ce triangle qui compte parmi les plus influents de la musique britannique du moment. Dans cette géométrie faite de productions gracieuses entre hip-hop charnel, R’nB apaisé et orchestre de chambre, la musique de Cleo Sol plane doucement à son rythme et reprend les habitudes de Sault : pas d’interview, presque pas d’images, très peu de concerts. Mais tout cela n’apparaît jamais comme une stratégie à la Daft Punk, plutôt comme une carapace de sérénité construite par une musicienne qui a bien failli se brûler les ailes avant même de s’être envolée.
Cette période-là, celle de ses débuts, apparaît aujourd’hui comme une autre vie, au sortir de son adolescence passée dans l’ouest de Londres entre les passions reggae et soul de ses parents qui se sont rencontrés dans un groupe de jazz. On avait alors découvert la jeune Cleo Sol en voix qui flirtait avec la scène grime londonienne sur MySpace, cette musique électronique héritière du rap et du dubstep où elle apportait sa douceur décidée. Ç’a donné des collaborations avec le producteur DaVinChe ou le rappeur Tinie Tempah, qui tendait davantage vers le R’nB radiophonique.