Joe Hisaishi, Bande originale du film Le Garçon et le héron (Studio Ghibli, 2023)
Il a fallu attendre 2023 et sa – peut-être – dernière collaboration avec le réalisateur japonais Hayao Miyazaki pour que les deux facettes de la grandiose carrière de Joe Hisaishi se rejoignent enfin. D’un côté, des partitions symphoniques enlevées pour quasiment tous les longs métrages animés du studio Ghibli depuis Nausicaä de la vallée du vent en 1984 ; de l’autre, des bandes originales pour d’autres et surtout des albums très personnels qui travaillent davantage avec le minimalisme. À bien écouter ses musiques de film pour Mon voisin Totoro (1984), Porco Rosso (1992) ou Le Voyage de Chihiro (2001), il y avait déjà des portes ouvertes vers cette économie des moyens dans quelques interstices, mais chaque fois, c’était le cinéma de Miyazaki qui l’emportait et demandait à la musique de se mettre à son service sous la forme de vagues d’émotions et d’une densité instrumentale puissante.
Depuis leur rencontre dans les années 1980, la collaboration entre les deux monuments japonais fonctionnait de la même façon : le réalisateur convoquait le compositeur dans son studio, lui racontait son nouveau film à partir des premiers crayonnés en sautant partout, puis laissait Joe Hisaishi travailler en collaboration avec les équipes du film à chaque étape de la réalisation. En sortaient des musiques intensément tissées avec les images, une fresque multimédia totale qui a marqué plusieurs générations. Puis tout a changé pour Le Garçon et le héron. Pour la première fois, ce film, annoncé comme le dernier d’Hayao Miyazaki à 82 ans, a été entièrement achevé avant que le compositeur ne puisse y jeter un œil. C’est l’histoire, chargée en éléments biographiques, d’un petit garçon malheureux dans sa famille après le décès de sa mère, qui s’échappe dans un monde parallèle situé dans une tour où l’attire un héron. Les thématiques sont à nouveau celles de Miyazaki – la nature, la famille, le deuil, les peurs d’enfant –, mais Joe Hisaishi a su dès le début que la recette habituelle de la musique qui accompagne les sentiments et l’action qui s’emporte dans un délire intérieur peuplé d’êtres bizarres ne fonctionnerait pas cette fois-ci. Pour lui, la décision du réalisateur de ne rien lui montrer « signifiait vraiment [qu’il] voulait raconter l’histoire en images, essentiellement », a estimé Hisaishi dans le LA Times.