Sur l’avenue de la République qui longe le port, dans le centre-ville de Toulon, la devanture vert sapin d’un bar discret, en face d’un kebab et de quelques brasseries, détonne par son nom : Le Graal. À l’intérieur, dans une ambiance de pub irlandais, quelques jeunes se désaltèrent à la bière en regardant un match de rugby. Entre deux voûtes en brique d’un rouge délavé est accroché un imposant crucifix. Aux murs, des icônes orientales aux couleurs vives jouxtent une affiche déroulant la dynastie des Capétiens. Au fond du bar trône un gouvernail de navire. Le décor est posé : houblon, marines et dévotion.
C’est Pierre de La Taille, 33 ans, vêtu d’un polo noir, les cheveux parfaitement coiffés, une médaille mariale autour du cou, qui l’a fait accrocher là. S’il n’a jamais été « encarté dans un parti » ni même « politisé », il assume sa « sympathie pour le royalisme ». D’origine parisienne, de la « vieille noblesse d’épée », le jeune homme est arrivé dans le Var il y a cinq ans. Atteint d’une « dépression nerveuse assez grave », il est d’abord passé par Château Rima, une des maisons de la fraternité Eucharistein. « Je connaissais Mgr Rey par ma famille, il m’a un peu pistonné. » Depuis trois ans, il est devenu responsable bénévole de ce bar associatif catholique, en parallèle de ses études d’histoire.
Difficile à croire, mais jusqu’en 2014, les murs du Graal abritaient un établissement gay, le Texas Bar, placé en liquidation judiciaire. C’est une communauté traditionaliste, la Société des missionnaires de la miséricorde divine, en charge de la paroisse voisine de Saint-François-de-Paule, où elle célèbre la messe en latin, qui a racheté le bar, en partie grâce à un don de 15 000 euros d’un prêtre du diocèse. « Le bar de Sodome va devenir le pub de la miséricorde », s’enthousiasmait en janvier 2015 un communiqué sur le site internet des Missionnaires, signé de l’abbé Jean-Raphaël Dubrule, devenu en 2020 le supérieur de la communauté. À la même période, l’évêque de Fréjus-Toulon Dominique Rey venait inaugurer et bénir en personne Le Graal, goupillon à la main et calotte rose vissée sur la tête. « Moi-même, dans mon expérience de curé à Paris, je m’étais occupé du Bistrot du curé, qui se trouvait entre un sexodrome et de la lingerie fine, place Pigalle », narrait-il au micro.
La présidence de l’association qui anime Le Graal a d’abord été assurée par l’ancien supérieur des Missionnaires de la miséricorde divine, l’abbé Fabrice Loiseau, avant d’être reprise par un militaire à la retraite, paroissien de Saint-François-de-Paule comme Pierre de La Taille.