«Je rencontrais Foad à chaque distribution de repas que nous organisions, je l’ai vu s’enfoncer de jour en jour », se souvient Yolaine Bernard, membre de l’association Salam (Soutenons, aidons, luttons, agissons pour les migrants et les pays en difficulté) qui aide les exilés à Calais depuis la fermeture du camp de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, en novembre 2002. « Foad ne voulait plus parler, il restait à l’écart et, les derniers temps, il ne mangeait même plus avec les autres habitants du camp », ajoute-t-elle. Ce matin froid du 3 janvier 2023, Yolaine Bernard et d’autres bénévoles assurent une distribution de petits-déjeuners près d’un campement rue de Judée, dans l’est de Calais. Foad Dango était un des habitants de cette petite « jungle » de tentes, coincée entre un quartier résidentiel et la voie ferrée. Âgé de 29 ans, il était Soudanais et vivait à la rue depuis déjà plusieurs mois.
« Foad parlait tout seul. Certains jours, il ne voulait pas s’alimenter. On lui proposait tout de même un café, il le jetait, on lui en servait un second et, cette fois, il le buvait », raconte Yolaine Bernard. Ce jour-là, une fois la distribution terminée, elle et les autres bénévoles s’éloignent du campement et remontent dans la camionnette de l’association. Au loin résonne plusieurs fois la sirène du train. La camionnette s’arrête au passage à niveau, tout près du camp. Les barrières sont baissées. Alors que retentit encore à plusieurs reprises la sirène, Yolaine Bernard se rend compte que Foad est au milieu des voies, les bras levés vers le ciel et se parlant à lui-même. Affolée, elle s’acharne sur son klaxon. « J’ai voulu retirer ma ceinture de sécurité, mais je n’ai pas eu le temps d’ouvrir ma porte… Et puis le train l’a happé », se souvient la bénévole, la voix chevrotante. « Foad nous a fait un signe de la main, comme s’il voulait nous dire au revoir », souffle-t-elle. Foad est l’un des 376 exilés disparus à la frontière franco-britannique entre 1999 et le 28 août 2023, dont Les Jours racontent les vies et les morts dans cette série (lire l’épisode 1, « Voir Calais et mourir, 367 fois ») et dans le « Mémorial de Calais », un outil interactif inédit (à retrouver en bas de page)
« Je suis restée des semaines, voire des mois à ne pas dormir, j’ai dû prendre un traitement pour aller mieux », se confie Yolaine Bernard aux Jours.