Koupiansk, Kharkiv et Izioum, envoyé spécial
Dans le nord-est de l’Ukraine, le bout du chemin se nomme ces jours-ci Koupiansk. En temps de paix, le trajet depuis la capitale régionale de Kharkiv jusqu’à cette cité de 50 000 habitants installée sur les berges de la rivière Oskil aurait pris un peu moins de deux heures. Actuellement, la durée est plus fluctuante : avec ses innombrables checkpoints, ses chemins bloqués et ses ponts explosés, la guerre a le fâcheux don de rallonger les distances. La route est pourtant tranquille, une ligne droite de 60 kilomètres fonçant plein est à travers des champs de tournesol, un chemin à peine parsemé de carcasses de voitures et de tanks, parfois laissées sur la route, parfois poussées sur le bas-côté. On y croise surtout l’armée ukrainienne et sa galerie de véhicules en tous genres, tous marqués d’une même croix blanche : jeeps, tanks, camions chargés de ponts flottants, véhicules blindés auxquels s’accrochent parfois des grappes de soldats épuisés…
Les nids de poule qui criblent l’asphalte à l’approche de Koupiansk étaient là avant-guerre, les quelques Jigouli, Samara et autres tacots soviétiques appartenant aux locaux aussi. Au bout du chemin, le roulement de l’artillerie audible dès l’entrée dans la ville est lui bien nouveau. Il ne date pas de fin février, quand la guerre a démarré, mais d’une poignée de jours seulement. Capturée par l’armée russe sans un coup de feu et avec la bénédiction de son maire dès le 27 février, Koupiansk, son stratégique nœud ferroviaire et ses habitants sont restés pendant six mois à plus de 50 kilomètres de la ligne de front. À l’écart du grondement des frappes d’artillerie et du claquement sec des rafales d’armes automatiques qu’ont connus tant de villes et de villages d’Ukraine.
C’est peu dire que la guerre, arrivée sans prévenir au début du mois de septembre, les a pris de court. Un après-midi gris marqué par les tirs d’artillerie, les habitants ont désespérément cherché à fuir une ville sans eau ni électricité et déjà en partie détruite par les combats. Repliées derrière une rivière Oskil coupant Koupiansk en deux, les troupes russes sont désormais libres de bombarder une ville qu’ils contrôlaient encore une semaine plus tôt. Le pont reliant les deux berges est détruit et Lolita, une petite retraitée aux cheveux bouclés et à la voix rauque, murmure que des « orcs », des soldats russes, se trouvent encore dans la ville de l’autre côté de la rivière.