Alès, envoyée spéciale
Ils font les beaux de bon matin. L’un, la casquette enfoncée sur des yeux malicieux ; l’autre, souriant sous sa petite moustache taillée de près et son bob de pêcheur couleur camouflage avec polaire assortie. Les mains bien accrochées à leur chariot orange (chacun le sien), Robert, 68 ans, et Marcel, 73 ans, sont debout depuis 6 heures. Les deux compères ont laissé dormir leurs dames, qui « se lèvent beaucoup plus tard. Nous, on ne voulait surtout pas rater l’ouverture ». Le grand événement ? Tan, tan, tan : l’ouverture à Alès, capitale des Cévennes, du premier magasin Toujust, un nouveau genre de discounter. Et bientôt une future chaîne hexagonale qui se présente comme « collaborative, en s’associant aux fournisseurs pour proposer de la qualité au juste prix ». Comprendre de 5 % à 10 % moins cher que la concurrence, en se passant d’intermédiaires très gourmands.
C’est ainsi que, le 1er mars dernier, par un froid de bique, Robert et Marcel se sont pointés dès 8 heures avant de poireauter une demi-heure devant le magasin de 1 000 mètres carrés qui attendait ses premiers clients avec fanfare, ballons jaunes et bleus (comme le logo de la marque… et comme Lidl) et gros ruban à couper. Robert : « Ben on va voir si ça tient ses promesses, alors que ça augmente tous les jours (lire l’épisode 9, « Résultat des courses : on prend cher »). Quand je vois des tomates à plus de 5 euros ou des endives à 3,60 euros, je me demande où on va. » Robert joue à l’expert à qui on ne la fait pas : « Ma fille travaille chez Intermarché, ils ont tout augmenté cette semaine. » Une foule de chariots (une soixantaine) est désormais massée devant l’entrée, prête à foncer. Nicole, 73 ans : « Les fins de mois sont dures. J’attends de voir les prix, j’espère bien remplir le frigo. Normalement, je vais à Super U ou Leclerc qui est le meilleur marché, alors que Lidl et Aldi ont augmenté leurs prix. Le gouvernement se moque de nous. C’est bien lui qui est responsable de cette inflation qui nous prive de tout. » Virginie, mère au foyer de 39 ans, opine du chef : « Le 10 du mois, mon frigo est vide. Y en a ras-le-bol. Je n’achète plus de marques. J’ai même renoncé aux raviolis préférés de mon fils. »
8 h 30 : la fanfare la met en sourdine. Le patron-fondateur de Toujust, Fabrice Gerber, costume gris, cravate et souliers bien cirés, attaque son discours :