C’était la toute première obsession des Jours, la série qui a ouvert notre site et dont le premier épisode était sur la page d’accueil le tout premier jour des Jours, le 11 février 2016. C’est dire si Les revenants sont importants pour nous. Ce travail de David Thomson, l’aboutissement d’une enquête sur le long cours et de nombreuses années de dialogue direct avec des jihadistes, nous l’avons initié, accompagné. Ensemble, avec David, nous l’avons découpé en saisons, en épisodes, nous l’avons relu, édité, publié avec fierté. Nous lui avons trouvé un titre, on se souvient parfaitement quand et où c’était : en octobre 2015, dans un bar de Belleville, après avoir posé les premiers jalons de la série avec David, en bons fans de la série de feu Canal+, nous avons dit : « Et si on appelait ça “Les revenants” ? » En 2018, le terme entrait dans Le Robert comme nom commun. Entre-temps, les cinq saisons et les trente-deux épisodes des Revenants étaient republiés sous forme de livre coédité par Le Seuil et Les Jours. Entre-temps, ce travail recevait le prix Albert-Londres en 2017
Alors quand on attaque Les revenants, quand on attaque David Thomson, c’est Les Jours qu’on attaque. C’est ce qu’a fait le maire de Nice, Christian Estrosi, pour « complicité de diffamation envers un dépositaire de l’autorité publique ». Si on peut se permettre, monsieur le dépositaire de l’autorité publique : pan dans les dents, Christian. La Cour de cassation vient de débouter le maire de Nice de ses demandes, et ce de manière définitive, puisqu’elle n’a pas ordonné de renvoi.
Le passage incriminé par Christian Estrosi est issu de la saison 5 des Revenants. Dans un épisode en deux parties, David Thomson se penche sur le parcours de Quentin, jihadiste niçois parti en Syrie après avoir été enrôlé par « Omar Omsen »
David Thomson avait été relaxé en première instance, puis condamné en appel ; c’est cette condamnation qui vient d’être cassée de manière définitive au motif, écrit la cour dans sa décision dont Les Jours ont eu copie, que « les propos n’excédaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression », que David Thomson « s’est contenté d’introduire et d’expliciter la citation des propos tenus par un tiers qu’il a reproduits ensuite, sans les reprendre à son compte ». Conclusion de la décision : « Il ne pouvait être exigé du journaliste qu’il prenne ses distances à l’égard des propos qu’il rapportait, dès lors que la diffusion de ces propos, rendue possible par une enquête sérieuse qui garantissait qu’elle participait d’un débat d’intérêt général portant, en l’espèce, sur la passivité alléguée de certains responsables publics face à des processus d’endoctrinement engendrant la radicalisation, contribuait à la légitime information du public. »
C’est caractéristique de ce qu’on appelle une procédure-bâillon, […] qui n’a pas d’autre objet que de faire taire et d’intimider toute enquête contre lui.
« Cette décision consacre un travail journalistique sérieux, mesuré et de nécessité publique, se réjouit Me Martin Pradel, l’avocat de David Thomson. C’est une évidence qu’il est bon de rappeler. » Mieux, poursuit-il, « l’arrêt de la Cour de cassation rappelle les critères du bon journalisme : celui qui est susceptible de permettre de faire naître le débat et d’informer le public ». Car si la décision de la cour d’appel n’avait pas été cassée, non seulement c’est David Thomson qui aurait été condamné mais, souligne Martin Pradel « ça revenait à condamner une méthode journalistique basée sur l’investigation ». Car c’est bien cela que Christian Estrosi a tenté de faire taire, rapporte Me Pradel : « On est face à une figure politique importante du Sud de la France qui ne supporte pas que la manière dont il gère sa ville soit mise en cause et engage des procédures contre énormément de gens. C’est caractéristique de ce qu’on appelle une procédure-bâillon, très utilisée par exemple par Vincent Bolloré, et qui n’a pas d’autre objet que de faire taire et d’intimider toute enquête contre lui. » De Vincent Bolloré à Christian Estrosi, on peut reconnaître à ces personnages des Jours une certaine cohérence dans la volonté de faire taire le journalisme. « C’est aussi une victoire pour Les Jours », conclut Martin Pradel.
Une victoire pour Les Jours et pour David Thomson, qui dit ressentir « un immense soulagement » : « La réalité de Nice, c’est que c’est devenu un des principaux foyers du jihadisme en France et Omar Diaby a pu recruter de façon décomplexée. C’est cette réalité-là contre laquelle Christian Estrosi a voulu s’élever. » La décision de la Cour de cassation vient clore des années de rate au court-bouillon dont il n’avait pas besoin : « Je suis un petit journaliste et Christian Estrosi est un homme politique très puissant. Mais un homme politique ne peut pas porter plainte contre un journaliste pour des faits. Les faits, je n’y peux rien, j’écris en journaliste cette réalité. »