Déjà un mois que Vincent est assigné à résidence. S’il avait été privé de liberté par une décision de justice, l’accusation aurait dû prouver sa culpabilité. Pas là. L’état d’urgence a sa logique propre, extra-judiciaire. Puisque le ministère de l’Intérieur l’a déclaré potentiellement dangereux sur la foi d’une note blanche des services de renseignement (lire l’épisode 14), il sera traité comme un coupable.
Certes, des voies de recours existent. Lorsque Vincent tente – sans succès – de faire lever son assignation à résidence par le tribunal administratif, le requérant, c’est lui. Pourtant, il parle de [son] procès
. Une petite phrase, l’air de rien : Ma femme me disait de raser ma barbe avant d’aller à mon procès.
Elle voulait éviter qu’il ait l’air trop musulman. Vincent n’a pas suivi son conseil. De toute façon, il n’imaginait pas qu’un juge irait à l’encontre d’une décision du ministère
. Pour lui, les choses sont claires : c’est l’exécutif qui commande. Vu le contexte, difficile de lui donner tort sur ce point. Au moment de la publication de cet article, sur les 103 référés déposés depuis le début de l’état d’urgence, les tribunaux administratifs n’en ont suspendu que cinq, selon le décompte établi par la commission parlementaire de contrôle de l’état d’urgence, sur la base de chiffres du ministère de l’Intérieur.
Comment rendre compte de ce climat ? Les Jours n’ont pas organisé de casting pour trouver le « bon client » parmi les 381 assignés à résidence de l’état d’urgence. On n’a pas cherché le mec bien sous tous rapports, l’erreur d’appréciation manifeste, le sympathique écolo privé de COP 21, le musulman-oui-mais-modéré, jamais condamné, bon père de famille et lecteur de Charlie Hebdo. On a lancé des perches un peu partout, auprès d’avocats, d’associatifs, d’un blogueur musulman très populaire, et finalement on a trouvé Vincent. Qui n’est rien de tout cela (lire son portrait).
Avec nous, Vincent est sympa. C’est bizarre de dire ça, non ? Le mec fait flipper la DGSI mais il sourit, discute de tout sans se braquer et est ravi de nous montrer son book de graffeur. Est-ce que c’est un « vrai » gentil ? Est-ce un dissimulateur ? Un homme capable de tirer sur des gens du même âge que lui attablés à une terrasse ? Impossible de savoir. Les éléments dont nous disposons sont contradictoires. D’un côté sa version et celle de son avocate. De l’autre, les notes blanches alarmistes mais non-étayées de la DGSI.
Il ne voit pas d’inconvénient
à ce qu’on vienne le voir plusieurs fois et qu’on l’appelle souvent.