À ses premiers jours de prison en France en 2016, Salah Abdeslam avait posé une question qui avait laissé son premier avocat français, Frank Berton, interloqué : « Combien je risque, maître ? » Le seul survivant du commando de tueurs du 13 Novembre ne comprenait sincèrement pas que même s’il n’avait pas tué lui-même, il était considéré juridiquement comme coauteur du carnage et encourait donc à ce titre la peine maximale du Code pénal, la réclusion criminelle à perpétuité avec 22 ans de sûreté. Six ans plus tard et après 112 audiences de son procès, il ne semble toujours pas avoir abandonné l’espoir d’être considéré comme, somme toute, un acteur secondaire de l’affaire. Il l’a dit sans complexes, il espère bien revoir la lumière du jour et pas forcément avec des cheveux blancs.
Jeudi 14 avril, au terme de deux jours où il a enfin, et pour la première fois, livré in extremis un récit détaillé de son parcours la nuit du 13 novembre, il s’est adressé directement aux familles des 131 morts et aux parents des centaines de blessés, présents en masse dans la salle d’audience. C’était en quelque sorte une démarche de kamikaze du box, décidé à tenter le tout pour le tout pour sauver sa peau. « Ne laissez pas la rancœur vous dévorer. Vous êtes dans une position de force et moi de faiblesse. Vous avez la possibilité aujourd’hui de pardonner, d’avancer. Donnez-moi une chance de retrouver ma famille, les personnes que je chéris, donnez-moi l’opportunité de retrouver ma famille. » De la foule des victimes, un cri a fusé : « Jamais ! Jamais ! » « Je m’excuse si j’ai froissé des personnes. J’entends votre colère et votre haine », a répondu le Français de 32 ans. S’il doit faire face en effet à ce ressentiment accumulé par les estropiés, les endeuillés, les traumatisés des pires attentats français depuis la Seconde Guerre mondiale, ce n’est peut-être pas pourtant son principal écueil judiciaire. Le vrai handicap de l’accusé Salah Abdeslam, c’est en vérité lui-même.
Il y avait des jeunes et des très jeunes. J’ai vu ces gens en train de danser, rigoler. C’étaient des gens plus jeunes que moi, je ne voulais pas les tuer. Les victimes sont prêtes à tout entendre, on a dit… Alors, j’ai renoncé par humanité, j’ai pas renoncé par peur.
Insaisissable, incompréhensible, le personnage hésite entre le musulman pas très halal, petit délinquant, fêtard désinvolte, fumeur de joints, amoureux volage qu’il reconnaît avoir été jusqu’aux derniers jours avant les attentats, et l’islamiste rigoriste et « combattant de l’État islamique » qu’il revendique aussi être. Dans son box, il se tait puis, deux semaines après, il parle sans qu’on puisse l’arrêter ; il pleure à l’évocation de sa fiancée et, un autre jour, rit brusquement aux anges de lui-même.