Andalousie, envoyée spéciale
«Tu familia no te olvida », « Ta famille ne t’oublie pas ». Les lettres gravées dans la pierre viennent d’être astiquées. Les couleurs vives des fleurs en plastique toutes neuves se détachent du marbre blanc, pas encore fanées par le soleil. Celles de l’année dernière ont été jetées dans la benne parquée au fond d’une l’allée.
Dans trois jours, c’est la Toussaint. « C’est la semaine la plus animée de toute l’année, je n’ai pas beaucoup de temps », s’excuse José Manuel Castillo, l’employé du cimetière de la ville d’Algésiras, en Andalousie, qui m’accompagne d’un pas pressé vers la plus récente des tombes anonymes, se faufilant entre les visiteurs armés de seaux d’eau, de torchons et de bouquets multicolores achetés aux fleuristes installés devant l’entrée. « C’est ici », dit-il en désignant la niche perchée à la quatrième rangée du columbarium. « Nous l’avons enterré il y a quelques jours. Le corps est resté deux semaines à la morgue. C’était un homme, je ne sais pas d’où il venait. » Sur la plaque de ciment gris, en guise d’identité, il y a un numéro de matricule tracé à l’encre rouge : D1038/2018. Je pense aux tombes anonymes de Catane, en Sicile, là où PM390047 est enterré, après avoir péri avec 800 personnes dans le naufrage d’un chalutier bleu, le 18 avril 2015 (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »). Je pense aux familles d’Abou Diaw, de Mahamadou Cissokho, de Mamadou Seydou Bâ, de Papa Bouron, de Vieux Sylla, rencontrées en mai à Missirah et à Kothiary, au Sénégal (lire l’épisode 15, « Abou, le deuil impossible », et les quatre épisodes suivants). Leurs familles, elles non plus, n’oublient pas, même si elles n’ont pas de tombe où se recueillir.
Sur les côtes de l’Andalousie, les morts rappellent de mauvais souvenirs. La route depuis le Maroc vers l’Espagne, celle qu’on appelle « route de la Méditerranée occidentale », était moins fréquentée depuis l’installation en 2003 d’un nouveau système de surveillance, le Sive, sur les côtes espagnoles. Mais depuis que l’Italie a fermé ses ports aux bateaux de sauvetage des ONG en juin dernier, allant même jusqu’à interdire le débarquement de naufragés depuis ses propres bateaux militaires, les arrivées en Espagne ont grimpé en flèche. En 2018, elles s’élevaient à 55 206 personnes, selon l’Organisation internationale pour les migrations, soit plus de deux fois plus qu’en Italie à la même période. Les Africains de l’Ouest sont de plus en plus nombreux à choisir cette route. Et désormais,