Au commencement, Kevin Guiavarch était enfant de chœur à l’église. « Un peu de scoutisme aussi. » Une quinzaine d’années plus tard, en juin 2016, il fuit l’État islamique où il a passé deux ans en traversant la frontière turque avec ses quatre femmes et leurs sept enfants. Il est fiché en tant que terroriste international sur la liste noire du Conseil de sécurité de l’ONU. Vendredi, il a été transféré de Turquie en France où il a été mis en examen et écroué pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle et financement du terrorisme ». Entre ces deux univers, que s’est-il passé ? Comment le Kevin scout de France est-il devenu le Kevin jihadiste, ce « gros poisson » dépeint dans la presse ?
D’abord, d’où part-il socialement ? Kevin a suivi son catéchisme mais n’est pas pour autant l’archétype du jeune homme de bonne famille. Il s’exprime lentement, cherche laborieusement des mots simples. Son élocution poussive trahit un parcours scolaire chaotique et un faible niveau de qualification. Après le collège, il n’est pas allé au terme de son apprentissage, lâchant prise dès la seconde, avant de tenter un CAP maintenance. Il n’a aucun diplôme. Kevin est un décrocheur du système scolaire. Pour toute ressource, il vivote du RSA et de petits boulots, payés au noir. Avec sa barbe, son teint pâle de Breton, ses cheveux châtain clair tombant à hauteur des épaules et sa petite taille, il ressemble plus à un hobbit tout droit sorti du Seigneur des Anneaux qu’à un énième avatar postmoderne du jihad irakien. Nous ne l’avons jamais rencontré, seulement aperçu sur des photos et vidéos, mais nous avons mené avec lui des entretiens téléphoniques pendant plus d’un an et demi. Kevin a été élevé par sa mère en Bretagne. Ses parents se sont séparés peu après sa naissance. Il n’a jamais eu beaucoup de contacts avec son père. « La relation était pas tip-top », dit-il. Les individus issus de familles monoparentales avec une figure paternelle défaillante sont surreprésentés dans les milieux jihadistes. Leurs proches estiment souvent qu’ils ont ainsi retrouvé dans cette idéologie la symbolique d’une autorité paternelle qui leur avait fait défaut.
Dès l’enfance, Kevin reçoit donc une éducation religieuse catholique qui scelle en lui la crainte et la foi en Dieu. Ou plutôt, sa croyance en l’existence d’un monothéisme.