C’était un geste un peu fou, bravache. Une réponse d’adolescents à des discussions d’adultes. En février 2011, quelques jours à peine après la chute d’Hosni Moubarak en Égypte, suivant celle du Tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, une dizaine d’adolescents traçaient sur un mur de la ville syrienne de Deraa un slogan qui entrerait dans l’histoire : « Ton tour arrive, Docteur », en référence au surnom donné à Bachar Al-Assad, ophtalmologue de formation. Ce geste aurait pu rester ce qu’il était, une minuscule provocation adressée à un régime tenant le pays d’une main de fer depuis plus de quarante ans. Ce graffiti aurait pu être oublié, comme tant d’autres, si certains de ces jeunes n’avaient pas été arrêtés dès le lendemain par les mukhabarat, les renseignements syriens. S’ils n’avaient pas été torturés des jours durant, lâchant les uns après les autres les noms de leurs camarades arrêtés à leur tour. Si le chef local de la Sécurité politique, un cousin de Bachar Al-Assad, n’avait pas rejeté avec mépris les suppliques des parents venus négocier la libération de leurs enfants. « Oubliez vos enfants. Vos femmes vous en donneront d’autres. Et si vous n’êtes pas capables de leur faire des enfants, amenez-les nous. On le fera pour vous », aurait-il déclaré. Véridiques ou déformés, ces mots n’en sont pas moins répétés dans toute la ville, et au-delà, jusqu’à la capitale.
Le 15 mars 2011, de brefs rassemblements sont organisés à Deraa et Damas, vite dispersés. Trois jours plus tard, une nouvelle manifestation est violemment réprimée dans la ville du sud. Deux hommes sont tués et leurs funérailles, le lendemain, sont suivies par des milliers de personnes. Depuis des semaines, le pays bouillonnait. Début février, des tentatives de manifestations de soutien aux révolutions égyptienne et tunisienne avaient même été esquissées dans la capitale, et vite avortées sous la pression sécuritaire. Mais après les événements de Deraa, le pays s’embrase. Au cours des mois suivants, des centaines de milliers de personnes descendent à leur tour dans la rue pour réclamer la fin du régime. Et le geste des enfants de Deraa entre dans le récit collectif comme l’étincelle de la révolution syrienne.
Tout se passait très vite, les manifestations s’enchaînaient. On n’éteignait même plus la télé, on la laissait allumée 24 heures sur 24. C’était comme un très grand mariage !
« Tout se passait très vite, les manifestations s’enchaînaient, se rappelle Nuran Al-Ghamian, alors étudiante à Damas.