C’est un enfant en apparence ordinaire, qu’on appellera « Jean », dans un foyer banal quelque part en France, qui garde en lui une histoire vertigineuse. Un jour, Jean a dit à sa grand-mère, comme s’il se sentait coupable de se sentir heureux et insouciant : « Je ne pense pas tous les jours à maman. » Sa grand-mère lui a répondu calmement : « C’est normal. Tu as ta vie. Moi non plus, je ne pense pas tous les jours à elle. » C’était peut-être une manière bizarre de se dire l’un à l’autre qu’elle ne quittait pas leurs pensées, en réalité. La femme dont ils parlaient est morte en novembre 2018 dans un bombardement, après quatre années passées dans le « califat » irako-syrien avec son mari et son fils, né en France et donc français. Après un long périple, Jean a ensuite échoué dans un camp kurde, où il a été pris en charge par des femmes qui avaient connu sa mère. Elles ont alerté sa grand-mère française qui a remué ciel et terre. L’enfant est finalement rentré en France en 2019 et, après un passage à l’hôpital puis neuf mois dans une famille d’accueil, il a été confié à ses grands-parents. Il est allé à l’école très rapidement. Il a 7 ans aujourd’hui et il est parmi les premiers de sa classe. Il ne parle plus pour le moment de la guerre, de l’Orient, des camps, de la destruction, de la mort. Il se soucie juste de savoir s’il va être invité à l’anniversaire d’un de ses copains de classe et parle de banales petites histoires d’écolier.
Au début, pourtant, Jean a beaucoup évoqué cette funèbre épopée, dans un magma confus, douloureux. « Il a des souvenirs de bombardements, de maisons détruites. Il se souvient d’avoir eu froid, d’avoir eu faim. Il se souvient d’avoir dû fuir, dormir dehors. Il se souvenait que, dans le camp, les toilettes, c’était un trou », raconte sa grand-mère. Il est passé, dans son errance entamée lorsque l’État islamique (EI) a été chassé de ses bastions, entre les mains de familles d’adoption et de circonstance, parfois aimantes, souvent maltraitantes. Les autres femmes de son père, qui était polygame, n’ont en particulier pas été très tendres avec lui. Sa grand-mère n’a pas cherché à repousser ces récits. « On l’a écouté, on l’a rassuré. On lui a dit que tout ça, maintenant, c’était du passé. “Maintenant, tu es là, tu n’auras plus jamais faim ni froid.” » Les psychologues qui ont examiné l’enfant à son retour, et qu’il revoit tous les deux ou trois mois, assurent qu’il ne souffre d’aucun traumatisme.