À peine entrée dans la salle d’audience, elle supplie presque son avocate. « Maître, je ne vais pas y arriver. Je veux partir d’ici, je ne veux pas le voir, je ne veux pas, je ne veux pas… » Ce 1er septembre, madame C. tremble de tout son corps, se tord les mains, respire difficilement, vacille. Agnès Cittadini la prend délicatement par le bras et l’aide à s’asseoir. À voix basse, avec douceur, elle rassure sa cliente. Dix ans après les faits, le tribunal de Rouen s’apprête à juger les agressions sexuelles dont elle a été victime. Dix ans qu’elle ne sort plus de chez elle, que son monde s’est réduit aux allers-retours entre son domicile et l’école de ses enfants, rien de plus. À la dernière confrontation face à son agresseur, lors de l’enquête, madame C. s’est évanouie.
L’audience va commencer, alors madame C. prend une profonde inspiration. Elle s’avance à contrecœur vers le banc de son avocate, glissant ses pieds millimètre par millimètre, comme coincée sur un plongeoir sans issue. Elle hésite, n’arrive pas à franchir le pas, finit par s’asseoir en tournant le dos à la partie adverse, sans cesser de trembler. À tel point qu’un huissier du tribunal s’approche d’elle pour la réconforter.
De l’autre côté, un élégant monsieur de 74 ans, mouchoir de soie dans la poche de son costume, ancien bâtonnier du barreau de Senlis, dans l’Oise. Car c’est un homme de loi, Hubert Tetard, que juge aujourd’hui le tribunal de Rouen, accusé d’avoir usé de sa position pour s’en prendre à madame C. L’affaire a été dépaysée en Seine-Maritime afin d’éviter les connivences. Et on n’aurait pu imaginer un lieu plus imposant que ce Palais de Justice pour dire le droit. L’édifice gothique, dont la construction a été ordonnée en 1499 par Louis XII, impressionne par sa solennité.
La présidente du tribunal, pas décontenancée pour un sou, rappelle les faits et n’hésite pas à secouer le prévenu, tout avocat retraité soit-il. Fin 2009, c’est dans le cadre de sa profession qu’il rencontre madame C. En pleine séparation, bénéficiant de l’aide juridictionnelle, elle le consulte pour entamer une procédure de divorce. Il lui dit qu’elle est une « très belle femme », lui propose de se tutoyer, ce qu’elle refuse. Un autre rendez-vous est fixé, afin qu’elle puisse apporter d’autres documents. Elle s’entend dire, par l’avocat qu’elle a choisi pour la défendre dans sa procédure de divorce, qu’elle a « vraiment un beau cul », qu’elle est « bien gaulée ».