Avertissement : cet épisode évoque des violences sexuelles.
Scott Ellentuch et moi échangeons pendant presque trois mois avant qu’il accepte de me confier l’adresse e-mail de Susan Headley, la reine des « phreakers » de Los Angeles au tournant des années 1980, les pirates du téléphone fixe (lire l’épisode 1, « La reine des pirates du téléphone a disparu »). Il veut être sûr de mes intentions. Il tient à savoir ce que je sais déjà. Il me prévient, à plusieurs reprises, que Susan est barjo. Qu’elle n’est pas féministe, si c’est ce que je recherche. Que ça ne l’intéresse pas de parler aux médias. Que c’est à peine si elle lui répond à lui, alors des inconnus, n’en parlons pas ! Mais, me dit-il, il va tout de même lui faire suivre mes messages.
Durant les premiers jours du confinement, la quête de Susan m’avait permis de m’occuper. Mais tandis que le marasme de ce printemps 2020 cédait le pas à un été torride marqué par les feux de forêt dans le sud de la Californie, cela s’est mis à me prendre tout mon temps. Rechercher la grande hackeuse oubliée des années 1980 était désormais une noble échappatoire à la tristesse et la désolation de cet été-là. Alors, je ne cesse de relancer Scott, ma seule piste, qui se demande bien pourquoi j’ai tellement envie de m’entretenir avec elle.
Je raconte à Scott que Susan usait de certaines techniques encore largement utilisées par les hackers, et qu’elle en avait même été une pionnière. L’idée d’une femme entrant par effraction dans des systèmes par le biais du téléphone remet largement en cause l’image que l’on se fait du hacker à capuche derrière son clavier. Je lui explique que l’histoire a trop longtemps ignoré les femmes, et que lorsqu’on se focalise trop sur les personnes qui construisent les systèmes au détriment de celles qui en assurent la maintenance, les modèrent et s’en servent
Celui qu’on surnomme « Tuc » finit par me confier l’adresse e-mail de Susan. Je me sens bête : il s’agit d’un banal compte Gmail. Humiliée, je lui écris : « Je suppose que Tuc vous a déjà parlé de mon projet et de mes intentions. » Je lui explique que j’ai passé l’année à étudier la culture des hackers et des phreakers, que j’ai lu tout ce que je trouvais la concernant elle et les autres hackers