En 1878 se tient à Paris une Exposition universelle. La France républicaine fête le redressement du pays quelques années après le désastre de la guerre franco-prussienne et les massacres de la Commune. L’événement est un succès. Du 1er mai au 10 novembre, 16 millions de visiteurs se pressent dans les pavillons des différentes nations installés entre le Champ-de-Mars et la colline de Chaillot. Parmi les attractions, les spectateurs peuvent parcourir le palais éphémère du Trocadéro conçu par l’architecte Gabriel Davioud ou monter dans la tête de la statue de la Liberté, qui attend que le reste de son corps soit fabriqué avant d’être envoyée aux États-Unis. Moins gros mais tout aussi spectaculaire, on peut enfin assister aux démonstrations de la machine à vapeur solaire d’Augustin Mouchot, capable de cuire les aliments ou de distiller l’eau sans allumer le moindre feu. La presse salue ce formidable appareil : « L’invention de monsieur Mouchot équivaut à la découverte d’innombrables et d’immenses gisements de charbon, (que dis-je là !) à la découverte d’un universel et inépuisable approvisionnement de combustible », s’enthousiasme dans le quotidien Le Rappel le journaliste Victor Meunier, tandis que Philbert Bréban, du journal Le XIXe Siècle, prophétise : « Le nom de monsieur Mouchot passera à la postérité. »
145 ans plus tard, il faut bien avouer que cette prédiction n’a pas bien vieilli. Personne ou presque ne connaît Augustin Mouchot. La France n’est pas remplie de statues le célébrant et quelques rues à peine mentionnent son nom, notamment une petite voie à Paris, dans le XIIIe arrondissement, qui qualifie Mouchot d’« ingénieur », profession que ce dernier n’a jamais exercée. Cet oubli général est significatif du très étrange rapport que la France entretient avec l’énergie solaire, et que nous avons décidé de raconter en nous plongeant dans les archives. À plusieurs moments de son histoire, le pays de Louis Pasteur et de Marie Curie aurait pu devenir un pionnier de cette énergie renouvelable idéale pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais, c’est une histoire répétée d’occasions manquées qui a eu lieu. Et la première d’entre elles s’est déroulée dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec la vie d’Augustin Mouchot, simple professeur de lycée qui a échoué à convaincre ses contemporains d’arrêter d’utiliser les énergies fossiles.
N’ayant laissé aucun livre de témoignage et la plupart de ses lettres s’étant perdues, le mystère demeure quant à l’origine de la passion de Mouchot pour le soleil.