Cergy, Service central de renseignement criminel du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale. Dans un dédale de couloirs d’un blanc clinique s’affairent les gardiens des grands fichiers, celui des personnes recherchées, celui des empreintes digitales, des auteurs d’infractions terroristes… L’adjudant-chef Laurent Vadebeaux, allure athlétique, regard clair, coupe en brosse, chemise bleue réglementaire, conduit à son bureau. Et lance son ordinateur. Carte. Code. Accès à TAJ validé. TAJ ? Le fichier de traitement d’antécédents judiciaires. Un fichier, commun à la police et la gendarmerie, qui aligne des chiffres impressionnants : plus de 99 millions d’affaires répertoriées, environ 16 millions de fiches de personnes mises en cause, comprenant environ 5,9 millions de photos de face. Énorme ? « Les individus ne sont pas fusionnés. Et on a des clients fidèles qui apparaissent plusieurs fois. Jusqu’à cinquante fois… », tempère l’adjudant-chef Laurent Vadebeaux, le big boss du département du fichier d’antécédents judiciaires (de l’administration à la supervision des données) côté gendarmerie.
Il nous présente une photo qui a fait l’objet d’investigations dans une affaire criminelle : dans le jargon, on parle d’une « photo-question ». Sur le cliché, un type sapé comme jamais. Il porte une chemise noire avec des têtes de chien : des huskies. À ses côtés, un animateur de Fun Radio, Bruno Guillon. Celui de l’émission Bruno dans la radio. Une fête à Johnny ? Même pas. La photo a été prise en 2015 dans une boîte de nuit lors d’une soirée animée par la station, qui ne boude pas les dancefloors.
Nous faisons une utilisation très encadrée de cette technique. La Commission nationale de l’informatique et des libertés veille. On n’espionne pas en “live”, ni les images en direct du métro, ni celles des vidéoprotections des communes. C’est très cloisonné.
L’homme aux chiens, on l’apprendra plus tard, s’appelle Cyril. Voilà six ans, il s’est fait coincer quand un enquêteur a mis la main sur cette photo. Pour la première fois, Christophe Guillot bouclait, sur le terrain, une affaire grâce à la technique dite de reconnaissance faciale qui, depuis une dizaine d’années, ne cesse de se développer. « Une technique ni magique, ni diabolique », pose d’emblée l’adjudant-chef Vadebeaux. Il sait très bien qu’en dehors du Pôle judiciaire, le mot sème souvent la confusion ou la crainte d’un État utilisant la reconnaissance faciale couplée à de la vidéosurveillance à l’insu de passants dans l’espace public. Souriez, vous êtes identifié ? « On a tous lu 1984 de George Orwell, reprend Vadebeaux.