La cour d’appel de Paris a tranché mercredi 30 juin : l’entreprise Lubrizol reste bien mise en examen dans l’affaire de l’énorme incendie que nous vous décrivions heure par heure dans l’épisode précédent (lire l’épisode 8, « 2 h 39, “d’énormes flammes dépassent du côté de Lubrizol” »). Une décision attendue pour les victimes de cette violence environnementale, pour qui le combat judiciaire peut enfin démarrer près de deux ans après la catastrophe. Pendant tout ce temps, elles ont bataillé seules pour avoir une chance de savoir ce qu’elles ont respiré pendant l’incendie et ce que leurs corps en a gardé. Le 26 septembre 2019, dix heures après le début de la catastrophe, l’incendie de l’usine rouennaise semble enfin sous contrôle mais le combat des habitants, lui, ne fait que commencer.
26 septembre 2019, 14 heures. Depuis le début de la matinée, Gérald Le Corre, inspecteur du travail et militant à la CGT, échange avec les travailleurs de la métropole encore en poste. Il est en alerte sur la situation des salariés de la TCAR, les Transports en commun de l’agglomération rouennaise, qui roulent en continu depuis le début de la matinée. Il retrace : « Les conducteurs se plaignaient de maux de tête, de nausées, de vomissements. Finalement, le syndicat a réussi à organiser un droit de retrait pour les salariés en difficulté en tout début d’après-midi. » Des conducteurs vont s’arrêter, d’autres vont donc continuer à travailler jusqu’au soir. Plusieurs salariés de la TCAR font partie de la patientèle de Franck Prouhet, médecin généraliste à Canteleu, petite ville voisine de Rouen, qui déplore aujourd’hui : « Au final, 446 salariés ont signalé une intoxication à l’infirmerie. Le Samu a même envoyé une antenne au dépôt de bus. Dans mes patients, j’en ai vu plusieurs qui se mettaient à siffler en respirant. Certains ont fait un syndrome de Brooks, c’est-à-dire qu’ils ont développé un asthme sans antécédents lié à une exposition à une pollution. Un mois après, une quarantaine était encore en arrêt de travail. Et depuis, il n’y a pas eu de suivi spécifique de ces travailleurs. »
Le vendredi, j’ai laissé ma fille aller à l’école, comme beaucoup de monde à cette distance de Rouen. Mais le soir, j’étais en boucle, je me disais : “Qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai fait ?”
16 h 25. Le préfet de Normandie, Pierre-André Durand, dit en conférence de presse regretter la décision des personnels de la TCAR : « Je ne me l’explique pas. […] Il n’y a aucun motif à faire valoir un mouvement de retrait, ce n’est pas justifié d’après moi. »
27 septembre 2019. Dans l’après-midi, Christophe Holleville, qui habite à Forge-les-Eaux, à une quarantaine de kilomètres de Lubrizol, fait une crise d’asthme, la première depuis sa petite enfance.