Vivre à côté d’une usine ou d’un site pollué est une plaie. Le vacarme réveille la nuit des quartiers entiers, des odeurs d’essence, de chou ou de merde envahissent les jardins et même les salons (lire l’épisode 3, « Bienvenue à Seveso-sur-Loire »). Après avoir rencontré plusieurs dizaines de riverains et victimes de pollution, on sait maintenant qu’il y a plus difficile à vivre encore que ces nuisances très palpables. Certains préjudices sont plus sournois, plus tabous aussi. Ces choses-là se disent à la fin des interviews, juste avant de se quitter. Denis Mazard, par exemple, nous a fait visiter son morceau d’Isère colonisé par les industries (lire l’épisode 2, « L’irrespirable projet Inspira »). Il a décrit les ravages locaux, égrené des chiffres, des dates, des sigles. Ce n’est qu’à la fin de la journée qu’il a confié : « Moi, mon père est mort d’un cancer. Dans la rue où il a habité, où habite encore ma mère, j’ai compté, il y a eu douze cancers en à peine quinze ans. On se demande : est-ce que c’est normal ? »
Le militant nous a invités à rencontrer l’un des généralistes historiques de Sablons, Jacques Poinard. Le médecin âgé de 77 ans dit avoir identifié une autre rue, à Peyraud, où le nombre de cancers est « affolant ». Fait troublant : les deux rues sont dans l’axe des vents conduisant les fumées des usines de la plateforme chimique voisine. Le médecin tempérera : « Tout ça, ça m’interpelle. Mais le cancer, c’est forcément multifactoriel. On ne peut pas identifier avec certitude le lien qu’il y a avec la pollution. » Avant de détailler les cancers et maladies graves de quatre de ses amis de jeunesse, comme lui « enfants de la chimie », tous morts ou à un stade avancé de la maladie.
La pollution chronique, c’est pire, parce que ce n’est pas visible. Au quotidien, tous les jours, on sait qu’on est petit à petit impactés par tout ce qui passe dans les tuyaux ici, c’est une évidence.
Ce genre de scène, on l’a vécu plusieurs fois. La plupart des personnes interrogées dans cette série nous ont cité un père, une sœur, des voisins frappés par des affections graves de longue durée. Et si la pollution les avait rendus malades ? La question ronge et ne vous quitte plus. Marie-Aline Le Cler vit à Donges, dans ces villes et villages de Loire-Atlantique qu’on a baptisés « Seveso-sur-Loire ». Alors qu’on l’interrogeait sur les risques d’incendie et d’explosion autour de chez elle, la militante antipollutions nous a fait réaliser combien il est usant, psychologiquement, de craindre les effets de la pollution sur sa santé et celle de ses proches :