Depuis le début de la mission d’information parlementaire sur le verrou de Bercy (lire l’épisode 20, « Le verrou de Bercy fait grincer le Parquet national financier ») en janvier, on a beaucoup parlé de poisson à l’Assemblée nationale. Oui, de poisson, une métaphore toute trouvée pour trier les fraudeurs fiscaux en trois catégories. Petits poissons : les contribuables qui, considérant encore la fraude fiscale comme un « sport national », minimisent leurs revenus ou profitent d’un héritage pour mettre un peu d’argent à gauche (ou à l’est, quand il s’agit de la Suisse). Moyens poissons : les ingénieux, les coquins, pas pleins aux as mais riches quand même, planifiant avec soin leur évasion de capitaux. Gros poissons : ceux qui ont fait vœu de vice, qu’il s’agisse de bandits soucieux de dissimuler le produit financier de leurs méfaits (drogue, proxénétisme, trafic d’armes) ou d’entreprises spécialistes de l’optimisation fiscale et prêtes à franchir la limite incertaine qui la sépare de la fraude. De l’avis général, les gros poissons sont les plus préjudiciables au budget de l’État comme au « pacte social »… et les plus durs à attraper. Ils sont malins, ont les moyens de se faire conseiller et savent nager dans les eaux troubles d’un droit fiscal très complexe.
Le verrou de Bercy, accusé par les magistrats de freiner leurs enquêtes, fait l’objet d’un décorticage méthodique à l’Assemblée depuis deux mois. Les députés mènent de nombreuses auditions pour se faire une idée : faut-il le supprimer, le desserrer ou le maintenir ? Ce mardi, les ONG Anticor, Sherpa, Oxfam, Transparency International et CCFD-Terre solidaire étaient conviées. Toutes ces associations font partie (avec d’autres) de la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires, créée en 2005 pour réunir des « organisations de la société civile engagées dans la lutte contre les paradis fiscaux ». Elles ont appelé dans un communiqué commun à faire sauter le verrou de Bercy, tandis que leurs représentants allaient parler aux députés. « En principe, ce sont les affaires les plus importantes qui doivent se retrouver devant la justice », a rappelé Éric Alt, de l’association anticorruption Anticor, les autres pouvant se conclure par des redressements fiscaux assortis de lourdes pénalités financières, sans pour autant que Bercy porte plainte. Mais « en réalité », déplore-t-il, ce sont « des affaires de moyenne importance » qu’on retrouve devant les tribunaux.