Le lotissement n’a pas un intérêt dingue. C’est un alignement de maisons basses plus ou moins grosses et jamais clinquantes, des pavillons avec barbecue et trampoline posés sur des pelouses déjà bien brûlées en ce mois de juin trop chaud, alors que je cherche par-dessus les hauts murs en crépi ocre celle où a vécu Nina Simone de 1992 à 2000. Je suis à Bouc-Bel-Air, 15 000 habitants dispersés entre le vieux village et des enchevêtrements de lotissements de toutes les époques. Aix-en-Provence est à vingt minutes en voiture au nord, Marseille à vingt-cinq au sud. On est dans l’arrière-pays des supermarchés plutôt que dans la carte postale méditerranéenne de Pagnol et je me demande bien ce que la chanteuse est venue chercher ici, quand je vois un homme, la petite quarantaine, rentrer sa voiture dans l’allée devant sa maison. « Excusez-moi monsieur, j’essaye de trouver la maison de Nina Simone. Je ne sais pas si vous le savez, mais elle a vécu ici dans les années 1990. » Le regard est moitié gêné, moitié amusé quand il me répond : « Oui, je le sais bien, elle m’a tiré dessus… » Comment ça ? « C’est vous ?! » L’épisode est bien connu : en 1995, Nina Simone a été condamnée à huit mois de prison avec sursis pour avoir blessé au pistolet à grenaille un adolescent de 15 ans qui jouait avec le fils du voisin autour d’une piscine.
Julien habite donc toujours là. Il ne veut pas en parler longtemps parce que « ça n’a pas été un traumatisme » pour lui, mais la discussion s’engage à travers le portail. « On faisait du bazar ce jour-là, on avait mis une échelle contre un arbre pour sauter dans la piscine. Elle ne nous a rien dit, mais à un moment elle nous a visés à travers un trou dans la haie. J’ai pris des plombs sur toute une jambe et sous le pied. » Lors du procès, l’expertise psychologique ordonnée par la justice établit que Nina Simone est alors « incapable d’évaluer les conséquences de son acte » et qu’elle souffre de son isolement. « Plus personne ne la supporte, tant dans sa famille que chez ses amis », estimait alors l’expert. Mais comment Nina Simone s’est-elle retrouvée dans cette ville-dortoir provençale, seule et de nouveau très agitée, alors qu’elle avait trouvé une stabilité inespérée aux Pays-Bas à la fin de la décennie précédente (lire l’épisode 3, « 1985, un parfum d’apaisement ») ? « Il y a une forme d’autodestruction chez elle, pense Gilles Leroy, qui a consacré un roman touchant à ces années passées dans le Sud de la France.