Un jour normal sur Spotify, deux playlists apparaissent parmi la sélection mise en avant par la plateforme de streaming suédoise. L’une se nomme Au calme, l’autre Chill Beats. À un autre moment, on m’aurait proposé Garde la pêche !, Lounge Soft House, Calm Vibes, Le ménage en musique, Stress Buster ou Nature Noise… Toutes ces playlists – et il y en a littéralement des kilos dans le genre, sur Spotify, comme sur Deezer, Apple Music ou Amazon Music – comptent des dizaines de milliers d’abonnés. Parfois des centaines de milliers, qui se branchent régulièrement sur ces chaînes clés en main pour avoir leur dose de passivité contrôlée. Au boulot, dans les transports ou à la maison. Il y a deux ans, Spotify avait ainsi révélé que 41 des 100 plus grosses playlists de sa plateforme étaient alors nommées d’après une ambiance et non un genre musical. Dans l’ordre, « chill », « fête », « entraînement », « gym » et « voyage » dominaient les écoutes. Comme d’habitude, Spotify n’a pas donné suite à mes questions pour actualiser ces données.
Ces playlists dites de mood – d’ambiance ou d’état d’esprit – sont l’une des « inventions » du streaming musical parmi les plus marquantes, tant elles occupent désormais un espace impressionnant sur toutes les plateformes – et donc dans les écoutes. À ces playlists pensées par Spotify et compagnie, il faut ajouter celles qui sont faites par les utilisateurs eux-mêmes, dans la pure tradition des compilations maison fabriquées depuis l’avènement de la cassette audio dans les années 1960 puis du CD enregistrable à la fin des années 1990 : Pour la voiture, La route du Sud, Noël 1997…
« Le contexte est le nouveau genre », avait commenté en 2015 Paul Lamere, qui dirige les équipes qui fabriquent les recommandations chez Spotify. Je dirais plutôt que l’usage massif de ces playlists de mood est en train de révéler une réalité ancienne, longtemps masquée par les logiques économiques de l’industrie du disque. Depuis les années 1960, les labels ont en effet fondé leur économie florissante sur le format album, un groupe de chansons pensées ensemble et vendues ensemble. L’usage qui en était fait par les acheteurs était totalement secondaire, l’important était de vendre des disques. Mais en réalité, dès que la technologie leur a offert cette autonomie, les auditeurs ont vite dépiauté leurs disques pour les organiser en sélections personnelles.