«Prépare tes affaires. On part cette nuit. » Quatre ans après ce brutal coup de fil du 10 février 2020, Brigitte entend encore la voix de sa fille Gladys trembler au téléphone. Les vêtements, le dossier judiciaire, les jouets de Louise, alors âgée de 4 ans, sa dînette : chacune de leur côté, la mère et la grand-mère emballent ce qu’elles peuvent de leur vie dans des valises et des sacs de courses. À la nuit tombée, la petite voiture chargée à bloc, le trio quitte Marnaz, en Haute-Savoie, pour s’élancer sur les routes. Une longue cavale vient de commencer. Les kilomètres défilent, les péages d’autoroute se succèdent. « On était bouffées par l’angoisse, se souvient Brigitte. Mais Louise, elle, était soulagée à l’idée de partir : c’est ce qui nous a fait tenir. » Une dizaine d’heures plus tard, le port de Barcelone se dessine au loin. Deux mois avant, lors des vacances de Noël, elles ont repéré une destination, « au cas où » : Majorque. « Par chance, on trouve des places sur le dernier bateau du jour », se remémore Gladys, le cœur encore battant. Il est 6 heures du matin quand toutes trois débarquent enfin sur l’île espagnole. Un complice les accueille et leur tend les clés de leur refuge temporaire : un logement saisonnier vide. La veille, Gladys a perdu l’autorité parentale de son enfant, Louise. « La rendre à son père, c’était devenir complice : à choisir, j’ai préféré tout quitter. »
Pour protéger sa fille victime d’inceste, Gladys a fini par s’affranchir des lois et des tribunaux, ainsi que l’ont fait des dizaines d’autres mères aux parcours similaires avec lesquelles Les Jours ont noué contact ces cinq dernières années. Hors la loi pour les institutions, ces femmes sont pourtant épaulées par certains réseaux professionnels, au nom de la protection de l’enfance, flirtant parfois avec l’illégalité.
« Le numéro que vous demandez n’est pas attribué. » Quatre ans que le téléphone de Gladys ne répond plus. Abonnée absente. Quatre ans qu’à Marnaz, on n’a plus croisé cette femme blonde et sa fille brune, Louise, comme évaporées depuis le 10 février 2020. Quelques heures plus tôt, la décision du juge est tombée : Louise sera prochainement placée en famille d’accueil ou dans un centre, où son père et sa mère pourront venir la voir. Ce père qu’elle n’a pourtant pas vue depuis deux ans, et pour cause. En août 2018, l’enfant rentre très perturbée de vacances avec celui dont Gladys est séparée depuis un an : des cris, des larmes, des gestes brusques.