À Kyiv (Ukraine)
La nuit tombe et deux mondes se croisent sur la route entre Jytomyr, 100 kilomètres à l’ouest de Kyiv, et la capitale ukrainienne. D’un côté, une interminable file de camions et de voitures chargées à craquer qui, ce 25 février 2022, fuient l’avancée russe, Lviv et la Pologne en ligne de mire. De l’autre, la 4x4 Suzuki Grand Vitara de la journaliste Anastasia « Nastya » Stanko et de son mari Ilia, désespérément seuls à se diriger vers Kyiv (lire l’épisode 21, « En Ukraine, un 24 février qui n’en finit jamais »). Le couple roule, sans rien savoir de la situation militaire aux abords de la capitale, sans savoir même s’ils pourront pénétrer dans la ville alors que l’armée russe s’approche. Sa rédactrice en chef, réfugiée avec le reste de la rédaction dans la ville de Vinnytsia, a tenté de la dissuader de revenir à Kyiv
Vladimir Poutine veut prendre Kyiv, « mère des villes russes » selon la vieille expression (russe), berceau du monde slave, capitale d’un pays dont la souveraineté, le président russe avait affirmé huit mois plus tôt, « n’est possible qu’en partenariat avec la Russie ». La ville de quelque 2 millions et demi d’habitants est coupée par le Dniepr entre une rive droite faite d’un mélange chaotique de maisons d’époque tsariste, d’imposantes bâtisses soviétiques où continue de vivre le pouvoir ukrainien et d’immeubles de verre modernes, et d’une rive gauche synonyme d’immenses quartiers-dortoirs. Ce 25 février, c’est de chaque côté de ces rives qu’avance l’armée russe depuis le nord, un axe traversant Tchernobyl et les marais du Prypiat, l’autre ayant déjà dépassé et enveloppée Tchernihiv. Un troisième axe fonce déjà depuis la région de Sumy, à l’est. Les combats ont commencé aux abords de la capitale dès les premières heures de l’invasion, alors que des parachutistes russes tentent de s’emparer de l’aéroport d’Hostomel.
Peur et confusion se mélangent dans la ville, alors que sirènes anti-aériennes résonnent et que les premiers coups de feu claquent. Une partie de la population fuit tandis que d’autres courent se réfugier dans les élégantes et spacieuses stations de métro de la capitale. Ils sont près de 2 000 hommes, femmes et enfants à s’entasser sur la plateforme de la station Obolon, dans le Nord de Kyiv, arrivés en tenant dans leurs bras chats, chiens ou cochon d’inde.
Dans le petit bureau qui surplombe l’un des rails du métro, Nelia Shamraichouk, la chef de station, est en contact permanent avec ses collègues.