La musique nous ment souvent par omission. Prenez Pierre Vassiliu, lui qui fut vendu par ses maisons de disques successives, et surtout par Barclay, comme l’homme d’un seul titre aussi génial que gaguesque, Qui c’est celui-là?, sorti en 1974, qui a noyé tout le reste d’une carrière que l’on en finit pas de redécouvrir ces dernières années. Symboliquement, il a d’ailleurs fallu qu’un label indépendant, Born Bad, mène un travail de sélection, de présentation et de mise en valeur graphique pour que Vassiliu renaisse du rien où la plupart des auditeurs le tenaient.
Born Bad vient de publier En voyages, deuxième volume de ce travail salutaire après FaceB (1965-1981), qui se concentrait il y a deux ans sur les chansons les plus hors piste – à commencer par Film, incroyable face B de Qui c’est celui-là?, justement. À chaque fois, il n’y a pas de grosses trouvailles pour les fans attentifs, beaucoup des titres étaient déjà éparpillés dans des compilations, comme Tendres années 70 (sponsorisée par la radio Nostalgie), ou divers best of qui se trompaient malheureusement de cible. Car on ne vend pas Pierre Vassiliu comme un simple Carlos à grosse moustache. On ne vend pas dans un paquet sans goût des chansons qui, au fil des années et des époques, sont souvent des merveilles d’orchestration, d’inventivité dans le choix des instruments et des ambiances baladeuses, au service de textes à la poésie je-m’en-foutiste affirmée. Comme Nino Ferrer, autre grand mal compris de l’industrie de la musique et donc de la plupart des auditeurs des années 1960 et 1970, Pierre Vassiliu méritait des éditions de première division, celles des Gainsbourg et Bashung. Des belles pochettes, des notes documentées et une sélection qui raconte quelque chose au lieu d’empiler les titres au pifomètre.
C’est ce qu’a fait Born Bad puisque personne ne semblait motivé chez Universal – propriétaire actuel de Barclay. C’est aujourd’hui le boulot qu’accomplit Guido Cesarsky, membre du duo de techno orientale Acid Arab, pour Envoyages, qui rassemble des chansons inspirées par d’autres musiques à travers le monde. Car Pierre Vassiliu voyageait beaucoup, dans sa tête, dans Paris, en France ou en camion jusqu’au Sénégal au début des années 1980, où il a fini par monter un club de jazz sans clients et rentrer fauché. Cette dernière époque bordélique est racontée dans un beau livre, La Vie à rien faire (Michel Lafon, 1989), mais c’est une autre histoire.