Leyla McCalla, Breaking the Thermometer (Anti-, 2022)
Jouer une musique politique ne veut pas forcément dire faire beaucoup de bruit. Prenez Leyla McCalla, qui vient de publier Breaking the Thermometer, un vrai disque de revendications et d’histoire sociale joué au banjo et au violoncelle. On en sort secoué autant qu’éduqué, comme on sort de chacun des disques de l’Américaine depuis qu’elle s’est lancée en solo en 2014 après être sortie de la cuisse du groupe à succès Carolina Chocolate Drops. Après la poésie de Langston Hughes (Vari-Colored Songs, en 2014) ou les effets néfastes du capitalisme dans Capitalist Blues (2019), elle s’attaque aujourd’hui directement, dans ce quatrième album, à ce qui traversait déjà son œuvre de partout : son héritage haïtien.
Leyla McCalla, 36 ans aujourd’hui, est née à New York de parents nés en Haïti avant d’arriver aux États-Unis, fuyant comme beaucoup la dictature de la famille Duvalier et la pauvreté, mais aussi pour militer à distance. Son père a ainsi dirigé la National Coalition for Haitian Rights, une organisation de défense des Haïtiens immigrés, avant de devenir l’une des figures de la diaspora sur le territoire américain. Sa mère est quant à elle une activiste féministe et a grandi dans les couloirs de Haïti Progrès, un journal d’opposition dirigé à New York par son propre père. Tout est donc rapidement politique dans la famille McCalla, comme dans tant de familles haïtiennes des États-Unis ou d’Europe qui essayent d’améliorer à distance le sort de ceux qui sont restés. Il fallait donc que la musicienne, qui a commencé sa carrière à La Nouvelle-Orléans et possède une culture musicale profonde du jazz, des musiques de Louisiane et d’Haïti, se frotte à sa propre culture multiple.
L’occasion est venue sous la forme d’une invitation de l’université de Duke, dépositaire des archives de Radio Haïti, à créer une œuvre musicale à partir de cet important bout d’histoire journalistique et politique du pays. Car Radio Haïti, créée en 1957 avant d’être rachetée et portée pendant des décennies par Jean Dominique et Michèle Montas, d’exils forcés en retour influents dans le pays, a été l’une des voix d’opposition les plus puissantes des années Duvalier puis du régime corrompu de Jean-Bertrand Aristide. Plusieurs fois menacé, Jean Dominique a fini par y laisser sa vie le 3 avril 2000, assassiné devant les locaux de la radio par un commando jamais vraiment pourchassé. C’est une de ses expressions,