Je suis souvent arrivé au rap par la bande, et régulièrement par le jazz. La fin des années 1990 et le début des années 2000 étaient riches en croisements entre ces musiques, avec le projet Jazzmatazz de Guru ou le travail d’Erik Truffaz avec Nya. En 2006, il y a dix ans pile, c’est donc encore le jazz qui m’a ramené vers Rocé, l’un des musiciens que suivent Les Jours dans l’obsession Chant/contrechamp. Il publiait alors Identité en crescendo, son deuxième album, un disque qui sera réédité dans les prochaines semaines. Je connaissais le rappeur du Val-de-Marne pour son bon Top départ, mais ce sont deux logos présents à l’arrière de sa pochette qui m’ont décidé à acheter le suivant.
Le premier était celui de Nø Førmat!, un beau label tout sauf hip-hop ; le second, celui d’Universal Jazz, qui vivait des années foisonnantes en rééditant notamment les musiques de film signées François de Roubaix – une de mes obsessions musicales. Mieux : les vétérans du free jazz Archie Shepp et Jacques Coursil venaient jouer sur quelques morceaux. Cet Identité en crescendo était intéressant avant même d’avoir été écouté. Et puis il y avait la thématique de l’identité sur laquelle on ne mettait pas encore de mots dans les médias mais qui lézardait déjà la société française de l’époque.
« 2006, c’est l’année après Zyed et Bouna », résume aujourd’hui Anthokadi, l’une des signatures marquantes de l’ABCDR du son, très bon site consacré au rap. « 2006, c’est aussi l’onde de choc du 11 Septembre […], le procès de La Rumeur et le stakhanovisme médiatique du candidat Sarkozy. » Ce sont les années Chirac qui se referment en ayant reconnu le génocide arménien et la responsabilité de l’État dans la déportation de Juifs français pendant l’occupation, mais qui n’ont rien changé à la « fracture » béante entre la France affichée à la télévision et sa réalité multiple. Rocé surgit là-dedans avec ses questionnements, qu’il adresse à son pays autant qu’à lui-même dès les premières phrases du disque, dans Je chante la France.
« J’ai la Marseillaise sifflée et le drapeau sous les semelles.
J’ai le regard crispé sur ce pays et ses querelles.
Le regard débridé et le pelage blanchi, je bégaye,
Presque sans plus d’accent, les mêmes problèmes qu’il y a des décennies. »
Le rap français était un peu endormi, et une manière de me motiver, c’était de m’écouter le plus sincèrement. Or, il se trouve que j’écoutais plus de free jazz que de rap…
À l’époque, Rocé ne planifie pas de faire un disque tourné vers le jazz, mais il en écoute beaucoup.